Une vie de cheminot… (Partie 2/3)

Comme annoncé dans la première partie, nous voici donc dans le vif du sujet.

  • L’organisation du travail :

La gare sur laquelle je travaille est ouverte en 3×8. Je commence donc par une série de matinées : 4h30 / 12h30. Après deux repos, j’enchaine sur une série de soirées : 12h30 – 20h30. Encore deux repos et on attaque les nuits : 20h30 – 4h30. Ces horaires connaissent quelques variantes le Samedi et le Dimanche. Comme dans tout travail posté, aucune coupure n’est prévue en cours de service.

Il n’y a pas de jour chômé. Nous sommes ouverts 365 jours par an. Je travaille donc, en fonction de mon roulement, les Samedi, Dimanche et jours fériés. 

Côté congés, le roulement intègre 11 jours de RTT. Il n’est donc pas question de les prendre quand on le souhaite. Comme tout le monde, nous avons cinq semaines de congés payés. Les jours fériés travaillés sont récupérés.

Pour que vous ayez tout en main, voici mon roulement de l’année 2012 :
Roulement 2012

Pour les besoins de cet article, j’ai ajouté le temps de travail en face de chaque journée. Il est à noter que ce temps n’intègre pas de pause et correspond donc au temps passé en poste. Pour chaque mois, j’ai également ajouté le total d’heures travaillées. Sachant que le temps de travail mensuel pour un temps plein à 35h est de 151,67h, je vous laisse juger de l’exactitude des chiffres qui ressortent régulièrement pour affirmer que les cheminots ne font même pas 35h…

Vous aurez certainement noté la présence de jours notés comme « Dispo ». Ces jours sont généralement planifiés dans les 15 jours précédents, soit pour remplacer un collègue, soit pour la visite médicale, une formation, une rencontre avec l’encadrement, bref, des besoins de dernière minute.

En 2012, j’aurai donc travaillé 6 jours fériés sur les 11, 67 nuits, 23 Samedi et 18 Dimanche.

  • La rémunération mensuelle :

Dans la grille de salaire de la SNCF, pour le personnel sédentaire (donc hors conducteurs et contrôleurs), je me trouve dans le milieu du peloton. Attention, je parle en terme de salaire horaire brut de base. La distinction est à faire car, travaillant en horaires décalés, les heures de travail de nuit et de Dimanche sont majorées et viennent donc augmenter sensiblement le net à payer en fin de mois.

Vous l’aurez vu en lisant mon roulement, le nombre et la nature des heures travaillées varie d’un mois sur l’autre et la paye suit donc le mouvement. Si je fais la moyenne sur l’année, mon salaire net mensuel est de 1610€.

  • La rémunération, les à côté :

En plus du montant mensuel, je bénéficie d’une prime de fin d’année versée en Décembre et d’une gratification de vacances versée en Juin. A elles deux, elles représentent un mois de salaire net.

Il existe également un système de prime sur objectifs. Son montant est versé pour moitié sur la performance de l’équipe et pour moitié sur la performance individuelle. Pour 2012, son montant a été de 120€.

En 2012, l’entreprise a également versé une prime exceptionnelle sur les bénéfices réalisés. Elle était de 350€ nets.

  • Du côté du système social :

Jetons maintenant un oeil à l’aspect social du statut de cheminot.

Un système d’allocations familiales complémentaires est mis en place. Avec deux enfants, je touche 60€ par mois.

Côté santé, nous ne sommes pas affiliés à la sécurité sociale mais à une caisse particulière. Comme pour le régime général, il est préférable de s’affilier à une mutuelle pour compenser ce qui n’est pas remboursé par la caisse. La SNCF n’a aucun contrat d’entreprise avec une mutuelle particulière. L’affiliation est donc exclusivement à la charge du cheminot. Dans mon cas, avec deux enfants, la mutuelle me coûte 125€ par mois.

Il nous est possible de choisir notre médecin. Nous pouvons donc nous faire soigner chez
le plus proche ou dans des centres médicaux SNCF. Dans les deux cas et avec la mutuelle, aucune avance de frais. Le médecin est remboursé par la caisse et la mutuelle puis nous sommes facturés de la franchise médicale et d’un éventuel restant à payer. La médecine 100% gratuite pour les cheminots est donc un mythe, tout comme les consultations sur le temps de travail. Comme tout le monde, à part pour la visite de médecine du travail et la visite d’aptitude à la sécurité, nous allons chez le médecin sur notre temps personnel.

En ce qui concerne la retraite, comme tous les agents recrutés depuis la réforme de 2003, le nombre d’annuités que j’ai à effectuer est le même que celui de la fonction publique qui avait été alignée sur le régime général, c’est à dire 41,5. Je conserve toutefois le droit de partir à 56 ans mais la décote s’applique à un niveau tel qu’un départ à cet âge tient du pur fantasme. J’ai tenté une simulation et, pour partir sans décote, il me faudra attendre 61,5 ans. Inutile de dire que, vu mes revenus, je n’aurai pas le choix.

  • CE et facilités de circulation :

L’entreprise est dotée d’un CE qui propose des places à tarif réduit pour des spectacles ou du cinéma mais aussi des voyages et colonies de vacances à tarif réduit. En 3 ans, je n’ai jamais utilisé ces services. Le premier cinéma est bien éloigné de mon patelin et, même à tarif réduit, vacances et colonies restent au dessus de mon budget.

La SNCF propose des facilités de circulation à ses agents et leur famille. À titre personnel, je ne paye que les réservations soit 1,5€ en heure creuse ou 8,60€ en heure de pointe. Je peux être dispensé du paiement des réservations 8 fois par an. Mon épouse et mes enfants bénéficient d’une réduction de 90% et de 4 dispenses de paiement par an. Lorsqu’ils les utilisent, ils ne payent alors que les réservations.

Mes parents et grand parents ainsi que ceux de mon épouse peuvent utiliser 4 bons de transport par an qui leur permettent de ne payer que la réservation.

Depuis le début de cette année mon épouse et mes enfants ont fait chacun un aller/retour en train, soit une économie de 242€. Mon épouse et un de mes enfants prennent par contre le train tous les jours pour aller au boulot et au lycée, mais ils utilisent un abonnement de travail et un ASR classiques qui reviennent moins cher que les tarifs ayant droit.

De mon côté, au 21 Octobre, je n’ai pas encore mis les pieds dans un train. Vous me direz qu’il est bien bête de ne pas profiter de ces tarifs mais, ce n’est pas parce que l’on ne paye pas le train que l’on a les moyens de se payer un hébergement à l’arrivée. Par ailleurs, vu mes horaires, impossible d’utiliser le train pour aller bosser. Je paye donc mon essence tous les jours.

Ces facilités de circulation sont utilisables en seconde classe pour le personnel d’exécution et de maîtrise et en première pour les cadres.

  • Avant / Après :

Pour conclure, une petite comparaison avec mon précédent job. J’étais technicien en informatique dans une entreprise de 150000 salariés, soit à peu de chose près comme à la SNCF.

Côté horaires, je travaillais de 8h à 16h52 avec 1h30 de pause ou de 9h08 à 18h30 avec 2h de pause et ce du Lundi au Vendredi. La rémunération était de 1175€ nets mensuels sur 13 mois assortis d’une prime de participation de 180€ environ et d’une prime d’intéressement de 20% du salaire brut annuel. Le CE proposait des offres comparables à celui de la SNCF et l’entreprise prenait en charge la mutuelle (un sacré beau cadeau ça maintenant que je vois ce que ça me coûte !). Je disposais également de 11 RTT mais je pouvais les prendre selon mes besoins.

À l’arrivée, en travaillant la nuit et les week-ends tout en étant responsable de la sécurité des trains et du personnel sur les voies, je gagne 21400€ annuels quand je faisais 20850€ assis dans un bureau du Lundi au Vendredi sans aucune responsabilité.

Alors, certes, j’ai la sécurité de l’emploi, mais, dans la pratique quelle est elle réellement quand on peut vous reclasser à l’autre bout de la France et que ça coûte donc son emploi à votre conjoint ?

À titre personnel, j’y ai gagné de l’autonomie avec l’encadrement que je vois une fois ou deux par mois quand il était à quelques mètres de moi dans mon précédent job. Je gagne également le plaisir de ne plus être un rouage dans une machine à faire du fric pour des actionnaires lointains mais de faire du service public pour les gens que je croise au guichet ou sur les quais tous les jours. J’y gagne aussi le plaisir de travailler pour partie au grand air et, surtout, au milieu des trains.

Bref, j’y ai gagné un boulot plus en accord avec mon éthique personnelle et dans un domaine qui me passionne et, aujourd’hui, je ne ferai pas le chemin inverse, même pour ne plus entendre le réveil sonner à 3h45.

P.S. : Il est possible que j’ai oublié quelques éléments ou que certaines choses ne soient pas tout à fait claires. Si vous voulez des précisions, n’hésitez pas à poser des questions.

Pour compléter la série, un tableau récapitulant de cet article : ICI