Vite, faire dérailler le train !

Pas plus tard qu’hier, je postais cette vidéo sur Twitter :

Cela va vous paraitre étonnant mais ce déraillement est tout à fait normal et est même une bonne chose pour la sécurité.

Que se passe t’il dans cette vidéo ? Le train se met en mouvement alors que le signal, placé sur le mat visible à droite, est fermé. Heureusement, les installations de sécurité jouent parfaitement leur rôle et le train est envoyé dans le ballast.

Pourquoi faire dérailler un train ?

Le déraillement de ce train est donc volontairement provoqué par les installations de sécurité, en l’occurrence, l’aiguille d’ensablement visible dans la voie, quelques mètres devant le train.

Pourquoi mettre en place un tel dispositif ? Pour protéger les voies de circulation. Aller, un petit dessin pour expliquer tout ça :

deraillement

Deux voies : la voie 1 et la voie 3.

La voie 1 est une voie principale. Les trains y circulent à 160 km/h. Le voie 3 est une voie de service. On y circule en marche en manoeuvre. Vous vous souvenez des différents types de marches ? J’en avais parlé dans cet article.

La flèche blanche indique le sens normal de circulation sur ces voies. Si vous avez loupé ça, j’en parlais dans cet autre article.

Dans le cas présent, un itinéraire est tracé pour faire passer un train voie 1 dans les minutes à venir. A la voie 3, la zone au rouge indique la présence d’un train en stationnement.

Au bout de la voie 1, le signal est bien ouvert et l’aiguille 201 dans le bon sens pour laisser passer le train. Au bout de la voie 3, le signal est bien fermé. Tout va donc pour le mieux. Oui mais…

Que se passerait il si le train présent sur la voie 3 rencontrait un soucis de frein ? Et si son conducteur commettait l’erreur de franchir le signal fermé ? Ce serait la prise en écharpe garantie avec les conséquences que je vous laisse imaginer quand un des deux trains circule à 160 km/h.

C’est arrivé fin 2008 du côté de Gouda, aux Pays Bas. Heureusement, les deux trains roulaient à très faible vitesse et l’accident, bien qu’impressionnant, n’a fait aucun blessé :

Photo DR
Photo DR

Afin de protéger les voies principales d’une éventuelle intrusion d’un train venant d’une voie de service, on y installe donc des dispositifs permettant d’éliminer ce risque.

Quand on dispose d’assez de place, on installe une aiguille supplémentaire, donnant sur un petit bout de voie terminé par un heurtoir. Un petit schéma pour voir ce que ça donne :

deraillement02On a donc bien une aiguille 203 toute neuve donnant sur un petit bout de voie terminé par un heurtoir. Si un train venait à franchir le signal au bout de la voie 3, il finirait dans le heurtoir et non plus sur la voie 1.

Pour compléter ce schéma, la vue d’une telle installation :

Un train Bourg Saint Maurice - Lyon quitte Ambérieu.
Un train Bourg Saint Maurice – Lyon quitte Ambérieu.

Ce train roule à 160 km/h en direction de Lyon. Tout train venant de la voie au premier plan serait dirigé vers le heurtoir visible à côté du poteau caténaire par l’aiguille du milieu de la photo.

Vous le voyez, ce type d’installation, s’il présente l’avantage de ne pas faire dérailler et donc de préserver le matériel roulant, nécessite de l’espace pour pouvoir être installé. Il est donc fréquent que l’on mette en place des dispositifs moins encombrants.

Des dispositifs pour faire dérailler les trains :

Toujours afin de protéger les voies principales, on utilise également des dispositifs dont le but est de faire dérailler le train venant de la voie de service.

Sur la vidéo présentée au début de l’article, devant le train, est installée une aiguille d’ensablement qui donne soit la direction de la voie principale, soit la direction… du ballast. Il existe également des dispositifs, placés sur la voie, qui permettent de faire dérailler le train.

Tous ces dispositifs sont conçus pour minimiser les effets du déraillement sur le matériel roulant comme sur la voie ainsi que pour faciliter les futures opérations de relevage du train.

Le relevage nécessitera des moyens plus ou moins importants en fonction des véhicules qui auront déraillé. Un wagon pourra être remis sur les rails au moyen d’un système de vérins hydrauliques amené sur place par le train de secours que l’on peut voir ici :
20130216150739-26145f9bDans le cas d’une locomotive, le poids plus important de l’engin nécessitera l’intervention d’une grue. C’est ce qui s’est passé pour nos amis britanniques de la première vidéo :

Et en cas de défaillance ?

Eh oui, quoi faire en cas de défaillance d’un de ces systèmes ? Effectivement, si la protection des voies principales n’était plus assurée, il faudrait agir.

Dans ce cas là, on se retrouverait dans le cas du premier schéma, c’est à dire avec une voie principale non protégée. Tout défaillance d’un dispositif protégeant les voies principales doit donner lieu à une action immédiate de l’agent circulation concerné.

La première sera de limiter la vitesse des trains passant sur la voie principale protégée par l’installation. Le but est qu’en cas de dérive ou de franchissement du signal de la voie de service, la collision se produise à vitesse réduite. On cherche à se mettre dans le cas de l’accident de Gouda évoqué plus haut : des dégâts matériels mais aucun danger pour les personnes à bord des trains.

Cette solution est, bien entendu, temporaire. Elle permet de ne pas interrompre totalement la circulation le temps de prendre les mesures définitives. Ces mesures sont simples. L’idéal est de faire évacuer la voie de service sur laquelle se produit le dérangement. Plus de train sur ces voies : plus de risque de collision. On pourra donc reprendre la circulation normale sur la voie principale.

Si l’évacuation de la voie n’est pas possible, on prendra alors des mesures pour assurer l’immobilisation totale des trains présents sur la voie : serrage de tous les freins à main, mise en place de cales sous le maximum d’essieux. Bref, on se blinde. Ces mesures prises, la circulation reprendra normalement.

Bien entendu, les agents du service compétent seront immédiatement contactés pour venir réparer l’installation et rétablir donc le meilleur niveau de sécurité.

Et voilà, vous savez pourquoi un déraillement peut être une très bonne chose pour la sécurité des trains ! Etonnant, non ?