Dans les coulisses d’un incident de circulation…
Quand on est bloqué dans un train suite à un incident, on entend parfois dire qu’on ne fait décidément rien pour régler le problème. Effectivement, les agents à votre contact direct ne peuvent pas faire grand chose. Ils sont comme vous: ils attendent que le trafic s’écoule. Pourtant, au plus près de l’incident, on ne se tourne pas les pouces. Illustration en texte, en photo et en vidéo.
Samedi 10 janvier 2015 en gare de Pont de Veyle, 11h51, passage du TGV 6503, reliant Paris à Evian les bains. Je sors faire la STEM. Rien à signaler sur la rame qui file à 160 km/h. Pourtant, il y a un problème. Les pictogrammes lumineux de la TVP (Traversée des Voies par le Public) continuent de clignoter alors que la rame s’éloigne de la gare et qu’aucun autre train n’est annoncé. J’ai un problème.
Effectivement, cette signalisation assure la sécurité des personnes passant d’un quai à l’autre. Si elle reste allumée trop longtemps, rien ne dit qu’au prochain train, elle ne pourrait pas présenter une panne plus importante. La sécurité avant tout: il faut prendre des mesures immédiates. Notre métier c’est de faire circuler des trains, pas d’écraser des gens.
11h52. Premières mesures prises : détruire les itinéraires donnant la direction du passage piéton et coiffer les boutons permettant de les tracer de DR (Dispositif de Réflexion). Le but est de ne plus laisser passer le moindre train. Le prochain est à 12h31. Ca va. J’ai le temps de m’y préparer sereinement.
11h52. Contact téléphonique avec le poste centralisant les numéros de téléphone des divers agents d’astreinte. Dans le cas présent, c’est d’une intervention du service électrique dont j’ai besoin.
11h53. Je tire l’agent S.E. d’astreinte de la tranquillité de son weekend à la maison.
11h54. Rapide appel au régulateur de la ligne pour l’informer du problème. Il est important qu’il sache que je vais devoir retarder les trains afin qu’il puisse éventuellement modifier l’ordre des circulations un peu partout dans la région ou même détourner des trains afin de limiter l’impact au maximum.
11h55. Je prends deux secondes pour tirer le rideau du guichet. Finie la vente, priorité à la sécurité.
11h56. La consigne relative aux dysfonctionnements de la TVP est ouverte. Toujours prendre les mesures urgentes de tête puis ouvrir la consigne, vérifier qu’on a tout bien fait jusque là et enchainer sur les actions suivantes.
12h00. La signalisation temporaire indiquant la panne des pictogrammes lumineux est mise en place sur les quais. J’ai de la chance dans mon malheur. Nous sommes samedi et, le weekend, la desserte TER s’effectue exclusivement en car. A moins d’un curieux de passage, il y a très peu de chance qu’une personne se rende sur le quai d’en face. Je peux traiter mon incident l’esprit plus serein. C’est toujours ça de pris.
12h01. Auto-contrôle ! Je reprends la procédure du début pour vérifier que je n’ai rien oublié. Vu que j’ai du temps, je passe un petit coup de fil aux gares encadrantes pour qu’ils ne s’étonnent pas que les trains perdent du temps chez moi. Je peux souffler en attendant le train de 12h31 qui, pour le moment, est bien à l’heure. J’en profite pour poser le téléphone sur un meuble et lancer un enregistrement vidéo. Ca me fera des souvenirs pour mes vieux jours.
12h20. Le TGV 6420 passe la gare de Bourg en Bresse et apparait donc dans la fenêtre 8 de l’écran du SAAT (Système Automatique d’Annonce des Trains). En temps normal, il mettrait 13 minutes pour arriver chez moi. Avec l’arrêt que je vais lui imposer, ce sera nettement plus long.
12h28. La sonnerie d’annonce voie 2 du block retenti. Le 6420 vient donc de passer la gare de Vonnas. Dans 3 minutes, il sera là. J’ai bien maintenu fermé (au rouge) le signal d’entrée de la gare. Le conducteur s’y arrêtera donc et, après quelques minutes, s’il ne constate pas l’ouverture du signal, il prendra contact avec moi via un téléphone de voie.
12h31 Le train est à portée de radio. Afin de gagner un peu de temps, je l’avise déjà qu’il va être arrêté et qu’il devra descendre au téléphone du signal pour recevoir un ordre de ma part. Ca lui évitera d’attendre bêtement au signal fermé. De mon côté, j’ai le carnet de bulletins d’ordres qui est prêt, tout comme la consigne ouverte à la bonne page avec le texte de l’ordre à transmettre.
12h33. Le TGV 6420 est arrêté au signal 284 de ma gare et son conducteur se présente au téléphone. Il est temps de lui transmettre l’ordre qui va lui permettre de passer en gare en toute sécurité. La suite, en vidéo:
Ayant la chance de ne pas avoir de train trop près devant lui sur la ligne à grande vitesse, le 6420 arrivera finalement quasiment à l’heure à Paris gare de Lyon.
12h56. L’agent du S.E. arrive en gare. Il lui aura en effet fallut se rendre de chez lui à Bourg en Bresse où il a récupéré le véhicule d’astreinte ainsi que le matériel nécessaire puis faire les 30 kilomètres de route le séparant de Pont de Veyle.
13h15. L’agent du S.E. est de retour au poste et émarge le carnet de dérangement signalant ainsi que je peux lever toutes les mesures prises et reprendre la circulation normale des trains. Au total, ce sont 5 trains qui auront pris du retard à cause de cet incident dont 3 à qui j’aurai remis un ordre. Les circulations étant relativement espacées à cette heure de la journée, ces retards seront heureusement restés relativement raisonnables en ne dépassant pas les 10/12 minutes. Vous imaginez bien qu’un pareil cas se produisant quand les trains se suivent à 5 ou 6 minutes générerait vite un sacré embouteillage sur la ligne.
13h20. L’agent circulation qui me relève arrive. Je peux lui remettre le service avec un beau R.A.S (Rien A Signaler) et rentrer à la maison.
Bonne journée cher collègue !
Bonjour
Merci pour ce reportage très intéressant (et très bien fait !) car montrant les « coulisses » de l’exploitation ferroviaire.
Une remarque : la procédure adoptée parait bien lourde, heureusement qu »il y avait peu de trains (sinon la régularité aurait été catastrophique !)
Une solution consistant à condamner le passage par une barrière et de retenir les trains que lorsqu’il y a un arrêt sur le quai en face avec passage alors sous la surveillance d’un agent ne serait-elle pas autant sécuritaire mais moins pénalisante pour la régularité ?
Encore bravo pour votre blog !
Le seul problème c’est qu’on ne peut pas totalement interdire l’accès au passage puisqu’une barrière ne devrait pas engager la zone dangereuse. Il faudrait pouvoir totalement fermer les quais.
Parfait, juste pour être tatillon, dans la remise d’ordre on ne doit plus dire BV mais bâtiment voyageur. (Mais c’est vraiment pour être tatillon!). Merci pour ce blog de qualité.
Ça tombe bien, on se demandait une fois avec des collègues, donc prises de becs. Sur bureau voyageur ou bâtiment voyageur. Quel est la vrai définition !?
Bonjour, merci pour votre beau blog, très passionnant.
Une petite question, avez-vous su la cause exacte du dysfonctionnement ?
Et comment se fait-il que « le weekend, la desserte TER s’effectue exclusivement en car » ?
Merci d’avance.
La cause ? Une des pédales du système qui mettait du temps à remonter. Pour ce qui est de la desserte, peu de monde dans les trains. La région a donc jugé plus économique de mettre des cars. Du coup, y a encore moins de monde mais c’est un autre débat. 😉
Merci pour cet article dès plus instructifs. Tout comme le reste du blog au demeurant
Merci Sylvain
très bon reportage !!!
je ne suis pas de la maison mais toujours admiratif du professionnalisme des Cheminots…
Merci de nous faire partager ces procédures qui nous échappent, pauvres voyageurs que nous sommes. C’est très intéressant et très pro.
Puis-je demander pourquoi, si le train est à portée de radio, l’ordre ne lui est pas transmis par ce biais, plutôt que par le téléphone du signal ?
Bonne journée – Yannick.
La radio ne doit pas être encombrée car elle permet aussi d’arrêter un train en urgence en cas de danger.
Merci 🙂
Bonjour et merci beaucoup pour cette article !
Le GSM-R vous permettra de transmettre des ordres par radio ?
Cordialement,
Ca facilite bien le truc puisque ça ne bloque pas la fréquence pour tout le monde.
Question peut être bête, mais ne serait ce pas plus efficace d’avoir un ordre en amont pour faire passer le train a 10 km/h, laissant le temps aux gens se s’auto arrêter a la traversée piéton ?
C’est vrai que ça paraît Bien lourd comme procédure, Surtout la dictée par exemple ( !! ) à l’heure des messages écrits. Le GSM-R doit gérer les Sms non ? 🙂
Dans tous les cas, l’ordre ne peut pas être transmis à un conducteur dont le train est en mouvement. Comme au volant: on s’arrête pour téléphoner. 😉
Concernant le SMS, pourquoi mais, le problème se pose aussi d’arrêter le train pour le recevoir. Reste également que la procédure de l’échange par téléphone ou radio permet de contrôler le message transmis. Tu l’écris, le conducteur le note, il te le relit, on l’entend donc plusieurs fois et ça limite les risques d’erreur.
… Ou l’autre côté du miroir. Passionnant sur le fond et très bien conçu dans la forme. On en redemande.
Un passionné de trains depuis 60 ans.
Bonjour Sylvain, d’abord un grand MERCI pour ton blog, il est super clair!
Je te suis sur Twitter.
Concernant cette manip’ on pourrait imaginer,au carré précédent le BV, un panneau spécifique « 35 + symbole d’un sifflet » qui actionné en cas de problème, ferait gagner du temps à tout le monde.
Bonne réception, bien cordialement,
F+