Mais pourquoi s’arrête t’on lorsque l’on est en avance ?
On est tranquille dans son train. Les arrêts s’enchainent bien à l’heure et puis, d’un coup, on s’arrête en pleine voie et le personnel commercial annonce que l’arrêt est dû à l’avance du train. Mais pourquoi s’arrête t’on lorsque l’on est en avance ? C’est bien d’être en avance, ça arrange tout le monde ! Pas sûr…
- Impossible de se garer en double file !
Première raison d’arrêter une circulation en avance : un train, ça ne se gare pas en double file. Imaginons une gare de taille moyenne :
10h00, arrêté au signal d’entrée de la gare 1, vous vous trouvez à bord du train rouge en provenance de Béville. On vous annonce qu’en raison de l’avance de votre train, il va stationner en pleine voie quelques instants. Il devait en effet s’arrêter à la gare 1 à 10h06 pour repartir à 10h09.
Mais pourquoi donc attendre alors qu’il a tout de même six voies à quai dans cette gare ?
Prenons tout d’abord la solution la plus simple : entrer en gare sur la voie 1 Béville où vous vous trouvez déjà. Impossible. Elle est occupée par le train Jaune. Celui ci, en provenance de Aville dessert la gare 1. Il arrive à 9h59 et repart à 10h00. Il est parfaitement à l’heure et à été exceptionnellement reçu sur la voie 1 Béville au lieu de la voie 1 Aville en raison de travaux en cours sur celle ci. Votre train devant arriver à 10h06, il aurait normalement eu le temps d’effectuer son arrêt et de repartir sans vous gêner.
« Utilisons donc la voie 1 Aville ou la voie 2 Aville ! » Non. La voie 1 Aville est en travaux et, de toute façon, les installations de la gare ne permettent pas de la rejoindre depuis la voie où se trouve votre train.
« Et la voie 2 Béville ? » Encore non. Je vous l’ai expliqué dans cet article, les voies ont un sens de circulation (représenté par une flèche blanche sur ce schéma). La voie 2 Béville ne pourrait donc pas être empruntée par votre train, sauf procédure lourde (là aussi, voir cet article).
« La voie A alors ! » Arrivé vers 9h11, le train bleu y stationnera encore jusqu’à 12h52, heure de son départ pour Aville. Encore raté.
« Ca y est, j’ai la solution : la voie B ! » D’une longueur de 348 mètres, cette voie serait trop courte pour recevoir votre unité multiple de TGV qui mesure 400m.
Il ne restera donc plus qu’à attendre que la voie 1 Béville se libère et vous devrez donc bien attendre à cause de l’avance de votre train.
Pour ces raisons liées à l’occupation des voies dans la gare de votre destination, vous pourrez également être remis à l’heure bien avant d’être à quelques centaines de mètres de votre destination.
Compliquons donc la situation :
Vous êtes toujours dans le train rouge à destination de la gare 1 où vous devez arriver à 10h06. De son côté, le train noir, arrivant de la gare 3, doit passer sans arrêt en gare 1 à 9h54 sur la voie 1 Béville.
Ce train aurait donc dû circuler devant le votre mais, du fait de votre avance, vous allez arriver à la bifurcation des deux lignes à peu près en même temps que lui. On pourrait bien vous laisser passer devant ? Oui mais non. Vu l’occupation prévue des voies en gare 1 (ce que nous venons de voir au début de l’article), vous allez vous retrouver arrêté à l’entrée de la gare 1 le temps que le train Jaune vous libère la voie.
Si on vous laissait passer devant le train noir, celui ci, pourtant à l’heure, se retrouverait coincé derrière vous et prendrait du retard. La gare 2 a beau être à une trentaine de kilomètres de votre destination, vous allez y être arrêté le temps de laisser passer le train noir. Là aussi, votre avance vous aura coûté un arrêt.
- Le débit des lignes…
Autre raison pouvant amener à arrêter un train en avance : le débit de la ligne. Dans cet article, je vous avais expliqué succinctement le principe du cantonnement mis en place pour éviter aux trains de se rattraper. Il faut savoir que, selon le type de signalisation, les cantons sont plus ou moins longs. Le temps que mettent les trains à les parcourir varie donc également.
Pour ceux qui veulent aller plus loin dans le détail, voici les articles Wikipédia sur les principaux type de signalisation utilisés en France : le BAL (Block Automatique Lumineux), le BAPR (Block Automatique à Permissivité Restreinte), le BM (Block Manuel) et enfin le système utilisé sur les lignes à grande vitesse, la TVM (Transmission Voie Machine).
Si, au cours d’un trajet, le type de signalisation varie, deux trains se suivant sans se gêner peuvent se retrouver dans une situation problématique en cas d’avance du second.
Encore un petit schéma :
Imaginons deux trains qui se suivent. Ils viennent de la gare 1 et sont à destination de la gare 3. Pour leur parcours, ils commencent par emprunter un grand axe ferroviaire. La signalisation y est faite pour une ligne à fort trafic. La longueur des cantons permet de les franchir en à peine 2 minutes et donc de faire circuler un train toutes les quatre minutes environ. Circulant normalement douze minutes derrière le premier train, le second en prend cinq d’avance. Ils circulent donc à sept minutes d’intervalle sur une ligne pouvant faire passer un train toutes les quatre minutes : tout va pour le mieux.
Arrivé à la gare 2, le premier train bifurque en direction de la gare 3. A ce moment, pour les derniers kilomètres de son parcours, il s’engage sur une ligne équipée d’une signalisation pensée pour un trafic faible. Les cantons deviennent très longs. Le temps pour en franchir un passe alors à une dizaine de minutes.
Arrivé à la gare 2 avec les cinq minutes d’avance prises pendant la première partie du voyage et s’engageant sur la voie en direction de la gare 3, le deuxième train, circule sept minutes derrière le premier. La ligne ne permettant qu’un intervalle minimum de dix minutes, le second train va donc se trouver arrêté en gare 2 en attendant que le prochain canton soit libre. Là aussi son avance va l’obliger à s’arrêter.
- La circulation en avance…
Vous l’avez vu, la circulation en avance n’est donc pas une situation idéale et cela peut vite demander beaucoup de travail aux régulateurs pour ne pas mettre en retard des trains à cause de l’avance de certains.
La réglementation prévoit donc qu’en fonction de leur type de signalisation, les lignes peuvent être des lignes dites à circulation en avance. Dans ce cas, un conducteur pourra, de lui même, prendre jusqu’à cinq minutes d’avance. Au delà, il devra prendre contact avec le régulateur de la ligne pour obtenir l’autorisation d’en prendre plus.
Sur les lignes qui ne sont pas désignées comme lignes à circulation en avance, les conducteurs n’ont pas l’autorisation de prendre de l’avance, sauf sur ordre express du régulateur.
Vous le voyez, la circulation des trains est comme une suite de dominos : si l’un tombe, il entraine les autres avec lui et ce qui est valable en cas de retard l’est aussi en cas de circulation en avance. Il est donc normal de se trouver arrêté en raison de son avance.
Intéressant. Les mêmes problèmes de gestion de trafic se posent dans les réseaux de télécommunication par paquet comme les réseaux IP que nous utilisons tous.
Les trains sont remplacés par des flots de paquets . Il y a des lignes mais elles sont à débit fixe : les paquets circulent tous à la même vitesse. Par contre, les routeurs comportent des files d’attente et font de la gestion de priorité.
Imaginez que tous vos trains roulent tous à la même vitesse entre les gares. Par contre on peut les faire patienter , changer de ligne , se doubler uniquement dans une gare. La vie d’un paquet est plus saccadée que celle d’un train !
Dans le cas des réseaux ATM – supplantés par IP ( et , encore plus vieux , les réseaux X25) – il y avait aussi une méthode de contrôle de flux permettant de ralentir les flots lorsqu’on s’approchait d’une situation d’engorgement. Un peu comme votre train en avance.
Différence de taille entre le réseau IP et le réseau ferroviaire : en cas de congestion , le routeur peut détruire un ou des paquets de faible priorité !
Intéressant parallèle que je n’avais pas fais. A noter d’ailleurs que, sur de gros réseaux comme le réseau du RER, il arrive de supprimer des trains trop en retard pour ne pas trop déséquilibrer le réseau dans son ensemble. Comme quoi, nous aussi, on peut détruire des paquets. 😉
Juste une petite question cher collègue, sur ta photo du BAL en gare d’Ambérieu, comment peux tu avoir un feu vert et un feu rouge? (signal à la gauche du carré)
Appareil photo sur trépied et une pose d’une petite minute. L’appareil photo a donc le temps de voir et d’enregistrer le VL puis le carré qui monte au passage du train.
Bonjour, merci très intéressant, y compris la comparaison avec les paquets en télécom. J’ignorais qu’un paquet peut être détruit! Ainsi certains messages seraient perdus?
Oui, les messages peuvent être perdus. Mais dans la majorité des cas, les transmissions sont gérés par un protocole (TCP) qui met en oeuvre un système d’accusés de réception : lorsque le destinataire reçoit un paquet, il envoi une confirmation à l’émetteur. Si le paquet a été détruit, l’émetteur ne recevra donc jamais l’accusé de réception et finira par faire une retransmission (= réenvoyer le même paquet une nouvelle fois).
Ce système n’est par contre pas mis en oeuvre dans les cas où ont a besoin d’une latence très faible (tel que la VoIP), où l’on préfère alors perdre quelques paquets plutôt que bloquer toute la transmission* à cause d’un paquet perdu.
* En TCP, on évite d’avoir trop de paquets « en attente ». Donc lorsque certains accusés de réception n’arrivent pas, on met temporairement « en pause » la transmission, jusqu’à réception de ces accusés.
Cela permet aussi de limiter la congestion en adaptant le débit d’envoi par rapport à la fréquence de ces accusés de réception (si on envoi 100 paquets par milliseconde mais qu’on reçoit que 50 accusés de réception pendant ce même laps de temps, ça veux dire qu’on envoi à un débit trop élevée).