Mais pourquoi peut on « perdre » un wagon ?

Depuis 24h , l’information est sortie dans les médias et tourne sur les réseaux sociaux : la branche fret de la SNCF a lancé un concours interne pour retrouver 150 wagons perdus.

Evidemment, la perte d’un wagon semble quelque chose d’assez improbable, surtout vu le poids et les dimensions de l’objet et pourtant, ce peut être très vite fait.

Pour commencer, une précision, on parle de wagon. Certains se posent en effet la question de savoir ce qu’on a fait des voyageurs présents à bord. Les voyageurs sont transportés dans des voitures. Les wagons sont réservés aux marchandises.

Wagon intermodal
Wagon intermodal
  • La vie quotidienne d’un wagon :

Pour comprendre comment un wagon peut disparaitre, il est nécessaire de vous faire découvrir la vie quotidienne d’un wagon. 

Quand un client prend contact avec une entreprise de transport ferroviaire pour transporter sa marchandise, on commence par définir son besoin exact. Quel type de marchandise souhaite t’il transporter ? Quel tonnage ?

En fonction de ces éléments, il est défini un type et un nombre de wagons à mettre à sa disposition. Grâce à une base de données, on va donc rechercher les wagons disponibles pour répondre à la commande.

A leur lieu de départ, un étiquetage précisant leur destination sera apposé sur les wagons.  En fonction des étiquettes, ils seront incorporés dans des trains desservants le triage le plus proche du client.

Arrivés là, ils seront réunis en une rame qui sera mise à disposition chez le client. A ce moment là, les wagons sortent du réseau ferré national pour être récupérés par le client sur son I.T.E. (Installation Terminale Embranchée). Ces voies, que l’on peut voir dans la cours des usines sont privées.

L'Unimog d'un client de Fret SNCF manoeuvre des wagons de céréales en cours de chargement.
L’Unimog d’un client de Fret SNCF manoeuvre des wagons de céréales en cours de chargement.

Le client s’occupera lui même du chargement de sa rame. Quand le train sera prêt, l’entreprise ferroviaire viendra reprendre les wagons. A ce moment là, après avoir vérifié la conformité du convoi avec les normes de sécurité, un nouvel étiquetage sera réalisé et apposé sur les wagons.

La rame prendra de nouveau le chemin du triage le plus proche. De là, si le train est assez long, il partira directement à sa destination. C’est ce que l’on appelle un train complet. Il est composé d’un seul type de wagon, est commandé par un seul client, pour une seule destination :

Un train complet de céréales reliant Dijon à l'Italie.
Un train complet de céréales reliant Dijon à l’Italie.

Si la commande du client ne porte que sur quelques wagons, ils seront intégrés dans un train à destination du triage le plus proche du point de livraison. Dans ce cas, si aucun train direct n’existe entre les deux triages, les wagons pourront passer d’un train à un autre jusqu’à leur point de destination.

Un train de fret diffus reliant Sibelin à Ambérieu en Bugey.
Un train de fret diffus reliant Sibelin à Ambérieu en Bugey.

Une fois arrivés chez le client et vidés, les wagons pourront être récupérés par l’entreprise de transport ferroviaire. Ils seront alors à nouveau étiquetés pour être acheminés, vides, vers un triage ou un autre client.

  • Halte au train-train :

A côté de ce quotidien, la circulation d’un wagon peut connaitre des aléas.

Comme tout engin circulant sur le réseau ferré, les wagons doivent passer régulièrement par les ateliers pour être révisés. Chacun porte donc une date limite d’utilisation. Cette date étant atteinte, le wagon est étiqueté pour retourner à vide à son atelier. Là aussi, il passera par un ou plusieurs triages, via un ou plusieurs trains.

Il peut également arriver, en cours d’acheminement, que le wagon connaisse une défaillance. Selon son importance, le train pourra aller à son terminus d’où le wagon sera réacheminé à son atelier où alors, il faudra retirer le wagon du train dès que possible, c’est à dire, en langage cheminot, le différer. Le wagon se retrouvera donc arrêté dans une gare en plein milieu de son parcours. Il y subira une intervention pour le réparer ou, si l’opération est trop lourde, pour lui permettre de retourner à son atelier où la réparation définitive sera effectuée.

Dans les premier cas, il sera de nouveau étiqueté avec sa nouvelle destination. Dans le cas où il est différé, on y apposera une étiquette signalant la gravité de son état et le conducteur du train notera le numéro du wagon et le lieu où il a été écarté de la rame.

  • Le bal des étiquettes :

Vous l’avez vu, la circulation des wagons donne lieu à un joli bal des étiquettes. Tout cela est bien entendu suivi par un système informatique qui centralise tout cela. Sur le papier, tout est donc pour le mieux.

Etiquette d'acheminement
Etiquette d’acheminement

Dans la pratique, tout ceux qui ont travaillé dans l’informatique le savent, le talon d’Achille d’une base données est au niveau de l’humain. Le meilleur système informatique ne traitera que les données qu’on lui donne et, si elles sont inexactes, c’est foutu.

Une mauvaise étiquette collée sur le wagon, une mauvaise saisie de son numéro ou de sa destination dans le système informatique, un oubli ou une erreur de transmission d’information lorsqu’un wagon est différé, un client qui a demandé 10 wagons et n’en utilise que 9 et on peut en perdre la trace ou l’envoyer au mauvais endroit.

Histoire d’augmenter le risque d’erreur de saisie, les wagons sont identifiés par leur numéro d’immatriculation. Il ne s’agit pas d’un numéro choisi par les opérateurs mais d’un numéro délivré par l’UIC, l’Union Internationale des Chemin de fer. Ce numéro est donc unique à chaque véhicule. Voilà ce que ça donne :

L'immatriculation UIC du wagon : 33 87 933 6 042-5
L’immatriculation UIC du wagon : 33 87 933 6 042-5

Je vous passe la joie, pour les agents formation, de relever une composition d’une trentaine de wagons, de nuit, dans un triage mal éclairé. On comprend pourquoi la visite médical est stricte sur les critères de vue.

  • Une question d’échelle :

Ajoutons à cela que les wagons circulent dans toute l’Europe voir au delà. Le système informatique de suivi des wagons inclue donc l’ensemble des wagons passant par le territoire français et pas uniquement ceux de la SNCF.

Conducteur et ancien agent formation, l’auteur du blog TrainCabView a été à la pêche aux chiffres et il en ressort qu’au niveau européen, c’est une flotte d’environ 274 000 wagons qui circule. Il parait de suite moins simple de retrouver un wagon mal aiguillé dans tout cela, sachant qu’il peut être n’importe où sur le continent.

J’espère que vous comprendrez mieux comme un wagon peut être perdu.

Pour le reste, je vous laisse vous faire votre propre avis.