Quand faut y aller, faut y aller…
Le soleil brille sur Saint Etienne en cet après midi d’Avril. Il fait bon et nous avons mangé dehors, les fesses calées sur un tas de traverses, au milieu de wagons de fret et de quelques Caravelles radiées. Après la visite d’un poste d’aiguillage ce matin, nous allons passer l’après-midi à parler manœuvre. J’ai déjà vu faire grâce à des copains cheminots mais , dans le cadre d’une formation, ce sera autre chose. Ce soir, j’irai me coucher moins bête et j’aime ça.
Notre formateur a obtenu la présence d’un moniteur de manœuvre, un locotracteur Y 8000 et quelques wagons rien que pour nous. Les ordres de manœuvre au drapeau, à la radio, aux bips, tout y passe. Le 8000 porte bien son surnom de yoyo à faire ses allers et retours sur les deux voies dont nous disposons.
Après un dernier mouvement, le locotracteur revient devant nous et accoste les quelques wagons. Il a beau arriver lentement, un accostage, ça fait toujours du bruit et, pour une fois, au lieu d’être sur un quai de gare à observer ça de loin, je suis debout sur la voie à un mètre des tampons. Ça tape quand même fort. Poussant la voix pour couvrir le bruit du moteur du Y 8000, explications sur les règles de sécurité à respecter et démonstration des gestes à effectuer. Que ce soit pour la sécurité ou pour le bien être de son dos, on n’effectue pas un attelage n’importe comment.
« Et maintenant, à vous ! » Ah ben merde, c’était pas franchement prévu ça… C’est comme à l’école pour la poésie à réciter au tableau, plus on attend pour le faire, plus on a le temps de s’imaginer que ça va mal se passer. Autant se débarrasser de ça au plus vite. Je ne dois pas être le seul à me le dire car je me fais griller la place par une collègue. Tant pis, je réviserai en la regardant faire. Elle s’en sort plus que bien. Aller, à mon tour, quand faut y aller, faut y aller.
Depuis que je suis gosse, des attelages, j’en ai vu faire et ça m’a toujours fasciné. Ça a l’air simple quand on regarde mais, au moment d’y aller, ce n’est pas la même chose. Le gilet orange un poil trop large, le casque inconfortable qui rajoute 5 bons centimètres, les gants tous neufs et donc bien rigides, ça va pas être simple cette affaire… En plus de ça, juste à côté, il y a le vacarme du moteur diesel du 8000. Moi qui ai horreur du bruit…
Aller, on y va. En fait, c’est quand même grand un train quand on est les deux pieds dans le ballast. Ça ne m’a jamais paru aussi énorme. Bon, faut arrêter de réfléchir et se lancer.
La jambe tendue, le pied dans le ballast entre les rails, la main sur la main de l’atteleur, flexion du genou, on n’oublie pas de baisser la tête pour ne pas s’assommer avec les tampons, et c’est parti. Me voilà debout, entre les tampons, le 8000 qui me hurle dans l’oreille droite. J’ai connu plus rassurant comme position. Evidemment, c’est le moment où mon cerveau me ressort la petite histoire de notre formateur qui, dans ses premières années, s’est retrouvé entre les tampons et a vu le train se mettre en mouvement. Vite, chassons ça de notre esprit !
Alors, le monsieur, il a dit qu’on devait équilibrer le tendeur puis le monter dans le crochet de l’engin moteur. Trop facile ! Sauf que ça pèse le poids d’un âne mort, qu’il faut lever ça jusqu’à hauteur des épaules et surtout ne pas se coincer les doigts en dessous quand on le dépose dans le crochet. Moi qui n’ai jamais rien eu dans les bras, je transpire. Ca y est, l’attelage est en place. Quelques tours de vis pour le tendre et on met le bras de la manivelle dans le crochet de repos. On raccorde la conduite générale et on ouvre les robinets d’air comprimé. Dans quel ordre doit on les ouvrir déjà ? Merci au formateur pour la réponse !
Bon, maintenant, faut sortir de là. Le même mouvement que pour rentrer mais en sens inverse et, surtout, on n’oublie pas de regarder des deux côtés avant de sortir vraiment. Et hop, me voilà dehors, avec le gilet et les gants pleins de graisse. Pas mécontent d’être sorti de là. C’est bruyant, physique et salissant, tout ce que j’aime. Et encore, là, c’était avec des wagons de fret, donc avec pas mal de place entre les tampons, en plein jour et par beau temps, bref, c’était du gâteau.
Quand je vois les collègues agents formation dans les gares ou les faisceaux, je repense toujours à mon unique attelage et à ce que ça doit être de faire ça des dizaines de fois par service, de nuit, dans le froid, sous le cagnard ou sous la pluie.
Tout mon respect pour tout ce boulot abattu, bande de planqués…
Bravo Sylvain ! Tu es des nooooootres tu as fais ton attelage comme nous auuuuutres ! Hihihi effectivement c’est un sacré travail dans les triages tu as un mailleur qui fait tous les attelages après empilement des wagons sur voie suite au triage, et donc qui se tape bien 7-8 trains d’environ 40 wagons, de mémoire par jour. Moi j’ai fais ça, demailleur aussi bref un peu tout au triage Mulhouse Nord et c’est des souvenirs. Dommage t’as pas pu tester les accouplements CG dans la froid, une horreur, les attelages totalement glacés et enneigés qui fallait déglacer au cailloux ! La première fois la fille avec nous y arrivait avc cette CG pas nous les 2 gars avec elle ! En tout cas comme tu dis, impressionnant, c’est pas du LEGO !
Poussant la voie
=> Poussant la voix
Parce que je doute que les rails bougent. Un lapsus dû à la profession peut-être?
Ca fait beaucoup de voies tout ça 😉
Merci, je corrige.