Et là, c’est le drame…
« Quel temps on a eu ces dernières semaines ! Un vrai plaisir cet avant goût de l’été, surtout quand, comme moi, on bosse un peu en extérieur. » 16h43, sous un beau soleil printanier, le TER 882114 termine son freinage quand j’en suis à me faire cette réflexion.
Descente de quelques voyageurs dont le lot d’habitués qui me saluent. Un oeil à la pendule, coup de sifflet, geste au conducteur pour demander la fermeture des portes puis je termine par un petit coup de guidon de départ. 16h44, bien à l’heure, l’AGC repart en direction de Mâcon.
Retour dans le poste. Tiens, le TGV prévu dans une dizaine de minutes n’est pas bien loin. Le TER franchit le signal de sortie de la gare. Je confirme la fermeture du signal et j’envoie l’annonce à Mâcon. De son côté, le TGV doit déjà être en train de freiner. Il a six bonnes minutes d’avance le bougre. Vite, je trace l’itinéraire pour qu’il sorte du raccordement LGV et prenne la direction de Bourg en Bresse. Et là, c’est le drame… DRIIIINNNGGG !!!!
Qu’est ce que c’est que cette sonnerie ? Ah merde ! Discordance. Un des aiguillages n’a pas tourné complètement ou, s’il a bien tourné, le système vérifiant sa bonne position m’a lâché. Un oeil au T.C.O (tableau de contrôle optique) et je constate effectivement que la première aiguille que doit emprunter le TGV ne me renvoie aucun contrôle. A la radio, le conducteur du TGV, qui est donc tombé sur un signal fermé, est déjà en train de m’appeler. Je l’informe du souci et j’effectue la première chose à faire dans pareil cas: faire faire un aller et retour à l’aiguillage en question. C’est tout con mais, dans 90% des cas, le petit corps étranger qui causait le problème sera délogé par la manoeuvre et tout rentrera dans l’ordre. Si ça se passe comme ça, mon TGV repartira avec encore une ou deux minutes d’avance. Tranquille quoi ! Evidemment, l’aller et retour ne donne rien. Un deuxième essai par acquis de conscience: toujours rien. Ca y est, il est l’heure de passage prévu du TGV. A partir de maintenant, il prend du retard. En un mot comme en cent, c’est la merde !
Dans ces moments là, ça tourne vite dans le cerveau avec une liste de scénarios possibles et de procédures à appliquer. Première chose à faire: arrêter la tempête dans le cerveau. Appliquons ce que disent les vieux ours qui hantent les postes d’aiguillage: » Quand tu as un dérangement, tu recules. Tu te roules une clope et tu réfléchis ».
Premièrement, avoir la paix : fermeture du guichet. Deuxièmement, avoir la paix en prévenant ceux qui pourraient appeler pour savoir pourquoi ça traine : un coup de radio pour aviser le conducteur, un coup de téléphone pour aviser le régulateur et voir comment on gère les conflits de circulations qui ne vont pas tarder. J’ai en effet un TER qui doit emprunter la même voie dans quinze minutes et un train supplémentaire qui doit croiser la trajectoire du TGV d’ici dix minutes. On maintient le TGV devant. Logique, il ne s’arrête nulle part quand le TER sera omnibus. De son côté, le supplémentaire est une bourreuse en acheminement. Ce n’est pas bien grave si elle prend un peu de retard.
Tout le monde est prévenu. Le rideau du guichet est fermé. Je suis donc dans de bonnes conditions pour gérer le problème. Aller, c’est parti, ouverture de la consigne PRS à la page « défaut d’établissement d’un itinéraire ». On va s’occuper de voir si le train peut passer quand même et sous quelles conditions. J’enchaine sur la vérification de la consigne du poste indiquant les conditions d’ouverture du signal auquel le TGV est arrêté. Toutes les conditions sont bien remplies à l’exception de l’aiguillage que j’avais déjà repéré et de la fermeture du passage à niveau situé juste après mais, pour cette dernière condition, c’est tout à fait normal.
On a donc un aiguillage qui est potentiellement dans une position empêchant de le franchir. Il va donc falloir aller voir ce qu’il en est réellement. L’aiguille en question est à cinq ou six cents mètres du poste. A pied, dans le ballast, c’est quinze ou vingt minutes de marche dans chaque sens plus le temps de l’examen de l’aiguille. Le TGV, lui, est arrêté à une centaine de mètres. Aller, j’envoie le conducteur voir ça pour moi: « -conducteur du TGV, prépare la procédure de vérification d’aiguille et rappelle moi. » L’aiguille se trouvant en plein milieu d’une zone qui est le point de passage obligé de tous les trains circulant dans la gare, le collègue me demande d’assurer sa protection avant d’aller intervenir.
J’attrape donc la consigne de protection de la gare et repère la zone concernée. Comme dans le cas de travaux, je mets en place les dispositifs nécessaires pour m’empêcher d’envoyer un train vers la zone où le conducteur du TGV va se rendre. Ca prend du temps.
Voila donc dix minutes que le TGV devrait être passé. Autour de ma gare, la vie et la circulation des trains continuent. Le TER suivant est annoncé par Mâcon et le train supplémentaire est arrivé en gare et arrêté au signal en attendant que ça se passe. Evidemment, il faut prévenir les conducteurs de ces deux trains de la situation et leur demander d’attendre. Encore un peu de temps qui passe.
La protection de la partie de voie à examiner étant effectuée, je reprends contact avec le conducteur du TGV. J’attaque la dictée de l’ordre d’aller vérifier l’aiguille, sa position et le collage de la lame. C’est long et, une fois l’ordre passé, le conducteur doit me le relire intégralement pour que l’on vérifie qu’il n’y a pas d’erreur. Il ne s’agirait pas qu’il ne vérifie pas la bonne aiguille ou qu’il aille dans une zone où sa protection n’est pas assurée. La sécurité avant tout. Encore cinq bonnes minutes de passées. Le conducteur du TGV me confirme donc qu’il quitte sa cabine de conduite et qu’il reprendra contact avec moi à son retour pour me faire part de ses constatations.
Je devrais en avoir pour cinq ou dix minutes de tranquillité… ou presque. Ces cinq minutes, je vais les mettre à profit pour faire appeler les agents d’entretien mais aussi pour informer tout le monde : le régulateur de la ligne pour qu’il puisse estimer les retards, les conducteurs des trains arrêtés aux signaux d’entrée de la gare et un voyageur qui, sur le quai, attend patiemment son TER.
En traversant la voie pour aller voir mon voyageur, au loin, j’aperçois le conducteur du TGV qui examine consciencieusement l’aiguille qui nous pose problème. Retour dans le poste, la situation est plus calme. Le TGV en est maintenant à vingt minutes de retard, le TER et la bourreuse à un peu plus de cinq.
Le téléphone du signal sonne. Le conducteur va me transmettre ses constatations. Je reprends le carnet de vérification d’aiguille. Je prends note de son message et lui relis. Il me confirme que l’aiguille est dans la bonne direction et ne présente pas d’anomalie. Il m’autorise par ailleurs à lever les mesures prises pour sa protection. J’ai bien tout noté. Je l’avise que je poursuis ma procédure et que je reprends contact avec lui.
Je reprends donc la consigne de protection et retire les dispositifs empêchant la formation d’itinéraires. La protection du conducteur est donc levée. Je reprends ensuite la liste de conditions d’ouverture du signal qui stoppe le TGV. Elles sont donc toujours toutes remplies à l’exception de l’aiguille et du passage à niveau. Je force la fermeture du passage à niveau. Cette fois, il ne reste plus que l’aiguille pour empêcher le signal de s’ouvrir. Je vais pouvoir autoriser le conducteur du TGV à franchir un signal fermé.
C’est toujours un grand moment ça et pas dans le bon sens de l’expression. Une des premières choses que l’on nous apprend c’est qu’un agent, quelque soit son grade ou sa fonction, doit obéissance passive à la signalisation. Que l’on soit apprenti conducteur ou président directeur général de la SNCF : un signal ordonnant l’arrêt, on le respecte sans réfléchir. Si le signal est fermé, c’est qu’il a une bonne raison de l’être: assurer la sécurité des trains et des personnes à leur bord et on ne cherche pas plus loin ! Quand on est formaté comme ça, je vous prie de croire que donner l’ordre à un conducteur de franchir un signal fermé, on ne le fait jamais en sifflotant. D’ailleurs, par acquis de conscience, on va refaire le tour de la liste des conditions d’ouverture du signal… C’est confirmé, je n’ai rien raté, la seule chose qui coince c’est cet aiguillage. Aller, quand faut y aller, faut y aller. Je rappelle donc le conducteur pour lui donner l’ordre de franchir le signal fermé. La aussi, je lui dicte puis il m’en redonne lecture. Tout est bon. « Tu peux donc y aller cher ami conducteur. Merci à toi pour ton assistance et bonne route. »
Je ressors du poste et, depuis le quai, je regarde au loin le TGV se relancer. C’est un couplage de deux rames Duplex. Ca représente presque 900 tonnes. A bord, il y a un conducteur, au moins quatre contrôleurs et potentiellement un millier de passagers. Tout ça va donc franchir un signal fermé qui est normalement là pour assurer leur protection. J’ai beau avoir tout vérifié, j’ai toujours un petit truc au coeur quand je vois ça. Tout doucement, la rame franchit donc l’aiguille qui m’a pourrit mon après midi puis se relance et passe devant moi. Au passage, on n’oublie pas d’assurer la STEM. Avec 29 minutes de retard, ce TGV reprend sa route.
Je vais pouvoir retourner cette aiguille dans le sens où ses organes de contrôle fonctionnent bien et faire passer mon TER et ma bourreuse. Un coup de fil au régulateur pour lui dire que tout est reparti et faire un point sur les retards exacts et on aura aussi le temps de programmer l’arrivée du prochain TGV par une autre voie et donc d’éviter l’aiguille qui m’embête. Je peux attendre sereinement l’arrivée des agents de la maintenance. L’incident n’est pas clos mais tout est maintenant sous contrôle. Ouf !
Et oui encore une preuve que cheminot ne rime pas avec « idiot »
il n’y a que tout les gogo parisien et autres gargantuas des potins de torchons qui imaginent que cheminot c’est un bouleau payé cher assis sur un relax !!!
Je ne suis pas de la profession mais j’AIME les trains et ceux qui les font rouler…
Bon courage Sylvain
Très beau récit détaillé, voilà ce que les clients qui râlent devraient lire pour comprendre que durant les 30 minutes de retard, des agents ont tout mis en œuvre pour rétablir la situation en toute sécurité pour tous, le point le plus important bien sûr 😉
Que ce soit lu par ceux qui s’imaginent que 30 minutes de retard, c’est dû à une absence de travail et qu’on se la coule douce quand les trains prennent du retard, c’est mon rêve secret.
Et cette angoisse après avoir refait deux fois l’annexe: il n’y aurait pas une petite DC ?
Merci sylvain pour ce témoignage !
Je ne suis cheminot mais passionné de chemin de fer et j’ai déjà fait circuler cet article pour sensibiliser les non initiés.
Bravo pour ce bel exemple! Où comment un retard devient énorme alors que la raison semble toute simple! Mais la sécurité d’abord comme vous le dites si bien! Il serait amusant de savoir ce qu’a dit le conducteur et/ou le contrôleur du TGV sur les raisons du retard! Un bon cas d’école de communication! non?
Il est vrai que ce serait intéressant.
Témoignage passionnant pour ceux qui aiment le Chemin de fer et qui devrait effectivement éclairer les non initiés sur ce que sous entend la notion de sécurité à la SNCF.
Ton histoire circule, je l’ai reçu par des amis de la fédération nationale des usagers des transports qui comprends beaucoup d’amis du chemin de fer malgré ses positions pas toujours appréciées par les cheminots.
Sur la photo de table PRS on voit des DA (rouge) et des DSA (bleus) en place sur les boutons.
En plus de protéger le collègue parti examiner l’aiguille, vous avez aussi coupé l’alimentation électrique ?
Ou c’est juste une photo d’illustration prise à un autre moment plus calme ?
PS : ma science des DA et DSA vient de la lecture récente du billet « RVB en cours »…
C’est juste une photo d’illustration.
Attention, j’espère que le TER a circulé au pas sur ton appareil dans la position contrôlée! 😉
Sinon j’aimerais bien que les agents me fassent des rapports de dérangement aussi détaillés que les tiens! 😉
Je sors tout juste d’une formation de signalisation SNCF dispensée par la SNCF pour mon travail et je suis tombé sur ton blog. Bravo en tout cas.
Si j’ai bien suivi la description de l’incident, l’aiguille posant problème doit être la 230 et le TGV planté devant le carré 263. Ensuite, pour les autres TGV et tant que l’aiguille n’était pas réparée, le PAR te les a envoyé sur l’autre voie.
Et tu as tracé l’iti 268/281 (via les aiguilles 264 et 271) pour les envoyer vers Bourg-En-Bresse.
Confirme tu ?
Finalement, une chance que les voies TGV sont banalisées.
L’aiguille qui décontrôlait était la 260 ou la 262, j’ai un doute. Pour le reste, c’est tout bon. 😀
niveau ?
En termes de sanction, il faut savoir que le non-respect des règles de sécurité et de signalisation, aux abords des passages à niveau, peut conduire à un retrait de 4 points sur le permis de conduire, assorti d’une amende pouvant aller jusqu’à 750 € et d’une suspension du permis pour une durée maximale de 3 ans.
L’Article R414-12 du Code de la Route précise :
« Tout dépassement est interdit aux traversées de voies ferrées non munies de barrières ou de demi-barrières. Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. »
L’Article R412-30 du Code de la Route précise :
« Tout conducteur doit marquer l’arrêt absolu devant un feu de signalisation rouge, fixe ou clignotant. […] Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Toute personne coupable de cette infraction encourt également la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle. Cette contravention donne lieu, de plein droit, à la réduction de quatre points du permis de conduir