Travailler sur les voies, comment ça marche ?

Nous sommes un certains nombre de cheminots à avoir vécu cette scène alors que nous étions simple passager d’un train : au bord de la voie, une dizaine de gilet oranges qui regardent passer le train et là, un voyageur se lâche : « Regarde moi ça, ils sont payés à regarder passer les trains ! ».

On peste intérieurement sur le niveau de bêtise de la remarque et on se retient de ne pas lui dire que, s’ils étaient resté à bosser sur la voie, ils seraient tous morts au passage du train.

Mais au fait, comment fait on pour éviter l’accident lors de ces chantiers ? Voyons voir ça…

  • Du monde plein les voies…

C’est que ça en concerne du monde, les travaux sur les voies ! Qui sont ces intervenants en gilet orange fluo ?

Agents du service mécanique au travail sur une aiguille double.
Agents du service mécanique au travail sur une aiguille double.

Il s’agit le plus souvent des agents SNCF de l’infrastructure :

– Les agents voie : Ils interviennent sur la voie elle même : changement d’un morceaux de rail, de traverses, reprise de nivellement…

– Les brigades caténaire : Leur spécialité, c’est l’ensemble des élements permettant l’alimentation des trains en électricité. Changement de câble, d’isolateurs, …

– Les agents du SE (Service Electrique) : Chargés de l’entretien de la signalisation, ils interviennent aussi sur les voies pour réparer ou entretenir les pédales, les crocodiles et diverses balises placées dans les voies.

– Les agents du SM (Service Mécanique) : Responsables de toute la partie mécanique des aiguillages, ils interviennent sur les voies pour la maintenance des transmissions rigides ou funiculaires.

Il peut également s’agir des salariés d’entreprises privées : les gros chantiers de rénovation leur sont confiés. Ils interviennent pour des renouvellements de voie, de ballast ou les grosses modifications de l’infrastructure.

Des équipes Colas Rail et une bourreuse FRA au travail.
Des équipes Colas Rail et une bourreuse FRA au travail.

Bien entendu, tout ce monde ne débarque pas à la dernière minute, sauf détection d’une anomalie à corriger en urgence. Les travaux, petits ou gros, sont planifiés à l’avance. Cela peut être fait quelques jours avant quand les équipes travaillent entre les trains ou des mois à l’avance quand il faut modifier la circulation des trains et apporter de grosses modifications aux infrastructures.

  • La sécurité, encore…

Bien entendu, les agents n’interviennent pas sans un minimum de mesures de sécurité. On ne se promène pas n’importe comment sur des voies où les trains circulent à 160 km/h.

Lors de petits travaux, les équipes peuvent intervenir en étant protégées par un annonceur. Cet agent est chargé d’annoncer l’arrivée des trains. Un annonceur est placé de chaque côté du chantier et lance l’alerte à l’approche d’un train en utilisant une trompe. Ce mode de protection n’est suffisant que lorsque l’intervention sur les installations permet de continuer à faire circuler les trains et que les agents peuvent dégager la voie immédiatement quand ils entendent l’annonce d’un train.

Dans le cas où le chantier nécessite l’utilisation de matériel encombrant, de démonter une partie des installations ou d’utiliser un train de travaux, il faudra mettre en place des mesures plus lourdes pour ne mettre en danger ni les agents présents sur la voie, ni les trains. En effet, un train qui arriverait sur un chantier où l’on a démonté une partie de la voie, cela ferait très mauvais genre.

  • Se protéger des trains…

Lorsqu’il faut obtenir l’arrêt des trains, les agents du chantier doivent se mettent en relation avec ceux chargés de gérer la circulation. Un des agents du chantier sera désigné pour être leur unique interlocuteur. Avant les travaux, il prendra contact avec l’agent circulation du secteur dans lequel il va travailler et va lui déposer une DFV (Demande de Fermeture de Voie).

Vous l’avez vu, il arrive de croiser des agents au travail sur les voies alors que votre train circule normalement à côté. Comment est ce possible ?

Prenons le cas de cette gare :
GareAfin de permettre les travaux, on pourrait simplement couper toute circulation en gare. Pas terrible car, vu le nombre de voies, il est largement possible de travailler sur une partie des voies tout en continuant de faire circuler les trains dans le reste de la gare.

Les voies seront donc divisées en différentes parties que les agents circulation pourront fermer indépendamment les unes des autres afin que les chantiers ne bloquent pas toute une gare. Chaque portion de voie ainsi créée est nommée ZEP (Zone Elementaire de Protection). Voila ce que ça pourrait donner dans cette même gare :

En couleur, les différentes ZEP.
En couleur, les différentes ZEP.

Vous le voyez, avec le découpage de cette gare, une équipe pourra travailler sur une seule voie pendant que les trains circuleront normalement sur les autres.

Afin d’aider les équipes de l’infrastructure, les limites des ZEP sont souvent repérées sur les voies. Les plus curieux d’entre vous ont donc peut être déjà vu ce genre de plaque :

Plaque de ZEP

  • Dans la pratique…

Le responsable du chantier va donc se rapprocher de l’agent circulation dont dépend la ZEP sur laquelle il veut travailler. Ce dernier prendra alors contact avec le régulateur de la ligne afin de savoir si aucun train supplémentaire, retardé ou circulant en avance ne pourrait être touché par les travaux.

Une fois cette information obtenue, l’agent circulation pourra dire au responsable des travaux quel créneau horaire il peut lui accorder. La demande de fermeture de voie sera alors formalisée par écrit.

Comme toujours en matière de sécurité, tout est effectivement fait par écrit. L’agent du chantier et l’agent circulation ont chacun à leur disposition un carnet sur lequel ils prennent note de l’ensemble de la procédure de fermeture de voie.

Sur le sien, l’agent du chantier va noter sa demande puis la transmettre à l’agent circulation qui en prendra note sur son carnet. La demande comporte le nom du demandeur, la ZEP demandée ainsi que les heures de début et de fin du chantier. Cet échange d’information étant fait, l’agent circulation va pouvoir effectuer la fermeture de voie proprement dite.

Dans son poste, il a à sa disposition une consigne qui reprend la procédure à suivre pour fermer chaque ZEP à la circulation. Il va donc l’utiliser pour fermer des signaux et placer des aiguilles dans une position donnée et enfin installer sur les commandes des signaux et aiguilles concernés des dispositifs interdisant leur manoeuvre.

Fermeture de voie
Les boutons d’itinéraire d’un PRS pendant une fermeture de voie.

La voie étant fermée, l’agent circulation devra encore vérifier qu’elle n’est pas occupée par un train. Il le fera en regardant son T.C.O ou simplement en sortant la tête du poste si la ZEP est bien visible.

Il est donc sûr qu’aucun train ne peut s’engager sur la partie de voie fermée et qu’aucun train n’y est présent. La voie est donc bien fermée et libre. A ce moment, il pourra accorder la fermeture de voie à son interlocuteur sur le chantier. Là aussi, tout l’échange sera soigneusement consigné dans les carnets de l’agent circulation et de l’agent du chantier.

En complément des mesures prises par l’agent circulation, les agents du chantier vont installer divers dispositifs sur la voie pour compléter la protection déjà effectuée. Ceci permettrait de palier à une erreur de l’agent circulation : la sécurité, encore et toujours.

A partir de ce moment, l’agent circulation ne touchera plus à rien tant que l’agent de l’infrastructure ne lui aura pas signalé la fin des travaux et, pour ce dernier, le chronomètre tourne déjà pour qu’il rende son chantier en temps et en heure. Il est effet très courant que la fermeture de voie lui soit accordée entre deux trains. Il faudra donc qu’il rende la voie avant le passage du prochain. Cela donnera encore lieu à un échange écrit entre agents.

La voie étant rendue, l’agent circulation pourra ôter les dispositifs installés sur les commandes de signaux ou d’aiguilles et laissera de nouveau circuler les trains.

Un autre agent aura été tenu au courant de la procédure : le régulateur de la ligne. Il est en effet important qu’il ai connaissance des heures de début et de fin des travaux accordés pour le cas où il aurait besoin de détourner un train ou de faire circuler un train supplémentaire.

  • Et les interventions sur la caténaire ?

Concernant les interventions sur la caténaire, le travail de sécurisation à faire est double. Les agents caténaire vont devoir se protéger des trains et déposeront donc également une demande de fermeture de voie. Par ailleurs, ils devront également faire couper l’alimentation électrique de la caténaire.

Sur le même principe que les ZEP, la caténaire est également découpée en plusieurs éléments qu’il sera possible de priver d’alimentation indépendamment les uns des autres. Les équipes caténaires déposeront donc une demande de consignation à l’agent chargé de la gestion de la caténaire. Il s’agit bien souvent de l’agent circulation. Celui-ci, toujours au moyen d’une consigne dédiée, prendra les mesures pour interdire le passage des trains électriques sous la caténaire qui va être coupée puis manipulera les interrupteurs ou sectionneurs permettant de stopper l’alimentation en électricité.

Comme dans le cas d’une demande de fermeture de voie, toutes ces opérations feront l’objet d’échanges qui seront consciencieusement notés dans des carnets dédiés.

  • Et s’il y a besoin d’un train de travaux ?

Pour certaines opérations, que ce soit sur la caténaire ou la voie, les équipes des chantiers peuvent avoir besoin de l’intervention d’un ou de plusieurs trains de travaux. Vous l’avez vu, dans le cas d’une fermeture de voie, l’agent circulation ferme la voie à toute circulation puis s’assure que la partie de voie où va avoir lieu le chantier est libre. Dans ce cas, comment un train de travaux peut il y accéder ?

Là encore, on va échanger des communications entre l’agent circulation et l’agent du chantier et tout sera bien noté dans le carnet dédié. Lors de la demande, l’agent du chantier aura précisé la présence d’un ou de plusieurs trains de travaux ainsi que les extrémités de la ZEP par lesquelles il vont entrer ou sortir du chantier.

Un train de travaux en cours de préparation.
Un train de travaux en cours de préparation.

Une fois la fermeture de voie effectuée, l’agent circulation sera en mesure d’envoyer le train de travaux sur le chantier. Vu qu’il va y avoir du monde sur la voie, il ne pourra pas le faire sans avoir, au préalable, obtenu l’autorisation du responsable du chantier. L’agent circulation devra donc reprendre contact avec lui afin de formaliser par écrit l’autorisation d’envoyer le train sur le chantier. Celle ci obtenue, il pourra exceptionnellement manoeuvrer le signal ou l’aiguillage donnant accès à la ZEP, laisser passer le train de travaux puis remettre en place la protection du chantier.

A la fin de son travail, le train pourra ressortir de la ZEP, là aussi après un échange formalisé entre les agents.

  • Alors, heureux d’en savoir plus ?

Et voila, vous en savez plus sur l’organisation des travaux sur les voies. Vous l’avez vu, la sécurité est encore au coeur du dispositif et les procédures sont donc lourdes.

La prochaine fois que vous verrez des agents en gilet fluo au bord des voies, vous saurez que, derrière le passage de votre train, ils vont attendre encore quelques minutes que leur protection soit assurée pour se remettre au travail… en attendant de s’écarter avant le prochain train… puis d’attendre quelques minutes…