Rail/route où est la concurrence non faussée ?

« Le trafic de marchandise par camion continue de progresser ». « Le covoiturage fait de l’ombre au TGV ». Voila ce que l’on peut lire ces dernières semaines. Evidemment, comme à chaque fois que l’on parle concurrence ou compétitivité, on évoque les coûts salariaux mais jamais le fait que la concurrence est forcément faussée entre le rail et la route. On cite également en exemple certains pays voisins comme l’Allemagne, la Suisse ou encore l’Autriche… tout en évitant soigneusement de souligner qu’ils appliquent des lois très contraignantes vis à vis du transport routier.

  • Le transport routier ne paye qu’une infime partie des coûts d’infrastructure…

Que paye t’on lorsque l’on charge sa marchandise sur un train de fret ou lorsque l’on achète son billet de TGV ? On paye le personnel de la compagnie que l’on a choisi. On paye le coût d’achat du train. On paye l’amortissement du train. On paye aussi un péage à RFF. Cela représente 33% du prix total du billet (source). Qu’est ce donc ?

Pour chaque train qui circule, les EF (Entreprises Ferroviaires) versent à RFF un péage qui correspond aux coûts d’infrastructure et, pour un train électrique, l’électricité utilisée. Un train qui circule paye donc la construction, l’entretien courant et la rénovation des rails sur lesquels il roule.

Que paye ce camion pour la route sur laquelle il circule ?
Que paye ce camion pour la route sur laquelle il circule ?

Qu’en est il pour un camion ou une voiture particulière ? Eh bien, le coût d’infrastructure d’un voyage peut être totalement nul pour peu que l’on n’emprunte pas les autoroutes. Un véhicule routier qui traverse la France sans passer par l’autoroute laisse tout les coûts d’infrastructure aux collectivités, c’est à dire à vous et moi. Nous faisons donc tous cadeau aux transporteurs routiers du coût de la construction et de l’entretien des routes alors que chaque usager du train paye sa part dans son billet.

Sur l’autoroute, c’est à peu près la même chose. Les tarifs pour un camion par rapport à ceux pour un véhicule léger ne sont pas du tout dans le même rapport que les coûts engendrés par les deux types de véhicule. Je vous laisse le constater par vous même: sur un Lyon-Paris, le camion de 40 tonnes va payer juste trois fois plus que le véhicule particulier de 2,5 tonnes. (source). Chaque particulier paye donc une bonne partie des coûts engendrés par la circulation des camions quand il paye son péage.

Attardons nous aussi sur le cas du covoiturage. La concurrence est encore plus faussée que dans le cadre du transport de marchandises. Un transporteur routier va facturer à son client les coûts de personnel, le coût d’achat et d’amortissement du camion, les coûts d’entretien du camion, le carburant et, éventuellement, le péage. Dans le cadre du covoiturage, le conducteur ne pourra partager que les frais de péage et d’essence. Les coûts d’achat, d’amortissement et d’entretien de son véhicule restent à sa seule charge. Encore heureux que ce soit moins cher à l’arrivée ! Effectivement, le coût de revient kilométrique d’une voiture particulière est autrement plus élevé si l’on n’oublie pas de compter son achat, le coût du crédit, l’entretien, l’assurance, l’éventuel garage. Le palmarès 2014 des véhicules donne un premier coût à 0,48€ du kilomètre (source). Au passage, calculez donc ce que ça donne par rapport à un même trajet en TGV. Vous verrez que le train est loin d’être aussi cher que ce qu’on le dit. Bref, le covoiturage est obligatoirement moins cher puisqu’il n’intègre pas l’ensemble des coûts en les laissant à la charge du propriétaire du véhicule.

  • Les salariés, forcément trop chers…

Autre argument souvent utilisé pour expliquer les coûts du train: les coûts en personnel. Effectivement, un conducteur de train est nettement mieux payé qu’un conducteur de poids lourd venu de l’Est… et même qu’un conducteur français mais n’oublie t’on pas une partie de l’équation ?

Combien de tonnes de marchandise ou combien de passagers transporte un conducteur de train par rapport à un chauffeur routier ?

2200 tonnes de train, soit 1100 tonnes de céréales pour un seul conducteur.
2200 tonnes de train, soit 1100 tonnes de céréales pour un seul conducteur.

Un train de fret, c’est, en général, dans les 2000 tonnes soit 1000 tonnes de marchandises, tout cela tiré par un seul conducteur. De son côté, le plus productif des conducteurs de poids lourd transportera 30 tonnes de marchandise. On a donc un salarié qui va, dans le même temps, transporter 33 fois plus de marchandise. Le coût salarial rapporté au kilo de marchandise transporté est donc largement favorable au rail.

Le calcul sera le même entre un conducteur d’un car de tourisme de 60 places et n’importe quel TER qui emportera 150 ou 200 personnes et ne parlons même pas d’un conducteur de TGV qui peut transporter jusqu’à un millier de voyageurs.

L’argument salarial est donc purement de la propagande pour tirer les salaires vers le bas et, dans le cas de la SNCF, d’entretenir le mythe du salarié du secteur public forcément coûteux et, donc, peu productif.

  • Une histoire de choix politiques…

Comme je le disais, on revient également souvent sur l’exemple allemand ou suisse pour laisser entendre qu’en France, on n’est pas doué dans le transport ferroviaire. La belle affaire ! Depuis des années, ces pays ont mis en place des lois contraignantes pour limiter le transport routier. La Suisse oblige depuis longtemps les camions ne faisant que transiter par son territoire à emprunter les autoroutes ferroviaires, c’est à dire de faire monter les camions sur des trains. Ce même pays, comme l’Allemagne, est passé, depuis un moment déjà, à une redevance poids lourds liée aux prestations (source). L’idée c’est de faire payer un péage à chaque poids lourd en fonction de sa masse et du kilométrage qu’il parcoure dans le pays. Ca ne vous rappelle rien ? La fameuse écotaxe que l’on a enterré en grandes pompes il y a quelques mois…

Pendant que ces pays font le choix de l’écologie, de la sécurité routière et, donc, de l’intérêt général, nous tergiversons devant de lobby routier . Il existe pourtant déjà deux autoroutes ferroviaires en France qui fonctionnent bien même si leur succès, devant le déséquilibre total de concurrence avec la route, est loin d’être au niveau de celles qui circulent en Allemagne, en Suisse ou en Autriche.

L'autoroute ferroviaire Le Boulou - Perpignan.
L’autoroute ferroviaire Le Boulou – Perpignan. 40 poids lourds, un seul conducteur et un péage payé à RFF.

Alors, que faire ? Si l’on veut redonner une chance au ferroviaire, il faut d’urgence rééquilibrer la concurrence. Soit les collectivités prennent à leur charge les coûts d’infrastructure ferroviaire comme elles le font pour le transport routier, soit les transporteurs routiers doivent enfin payer les vrais coûts d’infrastructure. Il serait temps de transformer les beaux discours sur l’écologie, la sécurité routière et les transports en commun en réelle volonté politique.