Les conséquences du froid sur les trains…

Difficile de passer à côté, l’actualité est monopolisée par la vague de froid et de neige que subit le nord du pays depuis quelques jours. Avions cloués au sol, voitures dans les fossés, trains à l’arrêt, ça arrive tous les ans pendant quelques jours.

Mais pourquoi les trains, qui ne risquent pas la sortie de route, sont ils touchés ?

La neige et/ou le grand froid ont des effets divers sur l’infrastructure mais aussi directement sur les rames. Explications.

  • L’infrastructure. Les effets sur la voie :

Les effets de la neige et du froid sur l’infrastructure sont assez variés.

Celui qui parait le plus évident au profane, c’est la bête accumulation de neige sur les voies. Elles sont recouvertes par la neige ce qui bloque le passage. C’est le cas sur cette photo qui fait le tour de Twitter depuis hier. Elle a été prise ces derniers jours entre Cherbourg et Caen.

Photo DR
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La solution ? Faire passer un train équipé d’un soc chasse-neige. Il faut donc un train et payer le personnel nécessaire.

Tombée en plus petite quantité, la neige peut tout de même bloquer les aiguilles. En effet, lorsqu’elles changent de position, les lames d’aiguilles (en jaune sur la photo ci-dessous) tassent la neige contre le rail. Elle peut donc finir par empêcher l’aiguillage de se mettre complètement en bonne position. Il peut également arriver que la neige tassée entre le rail et la lame de l’aiguille se transforme en glace ce qui empêchera tout mouvement.

AiguilleLa solution ? L’utilisation des réchauffeurs d’aiguille (en rouge sur la photo ci-dessus). En chauffant le rail, ils permettent de faire fondre la neige et d’empêcher la formation de glace entre la lame et le rail. Selon les cas, ils sont électriques et activés à distance ou, cas le plus courant, à gaz et doivent être allumés sur place. Dans une grande gare, en cas de chute de neige importante, il faudra donc du personnel supplémentaire pour tout allumer avant qu’il ne soit trop tard.

Autre effet de la neige (mais également du froid), elle peut perturber le fonctionnement des pédales, crocodiles et balises utilisées pour le fonctionnement de la signalisation en les prenant dans la glace.

La solution ? L’huile de coude ! Pour ces équipements, aucun système de réchauffage. Il faudra donc aller les déneiger ou les dégivrer à la main. De bons moments en perspective pour les agents !

Sans neige, un froid important et soudain peut casser le rail. L’acier se dilate et se contracte en effet fortement en fonction de la température. Une brusque chute de celle-ci peut entrainer de gros efforts sur le rail et mener à sa rupture. Le phénomène est heureusement très rare et à part une bonne secousse pour le premier train passant dessus, sans conséquences importantes.

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La solution ? Elle est déjà en place et c’est tout simple l’entretien régulier et rigoureux du réseau avec passage d’engins auscultant le rail par ultrasons afin de détecter toute faiblesse. Au moindre soucis relevé, des limitations de vitesse voir l’interdiction de la circulation sont immédiatement mises en place et la partie de rail présentant un défaut est changée. Malgré tout, contre les lois de la physique, il n’existe pas de solution définitive.

  • L’infrastructure, les effets sur la caténaire :

La caténaire subit également les effets du froid. La neige peut, indirectement, poser problème. Il arrive en effet que des arbres bordant la voie rompent sous le poids de la neige et viennent casser la caténaire.

La solution ? Eliminer au maximum les arbres en bordure de voie. C’est malheureusement plus facile à dire qu’à faire dans la mesure où l’on ne peut pas intervenir sur des arbres qui sont en dehors des emprises RFF ou SNCF. Une loi à faire voter ?

Plus que la neige, le véritable ennemi de la caténaire, c’est le gel. Pluie verglaçante ou simple coup de gel dans une atmosphère déjà humide et toute la caténaire est prise dans le givre.

A forte dose, ce givre rend le captage du courant difficile pour les trains électriques. De gros amorçages se produisent alors. En hiver, vous avez très certainement déjà assisté au spectacle d’un train redémarrant dans des gerbes d’étincelles. Le problème est que chaque étincelle échauffe la caténaire. Beaucoup de givre et un gros appel de courant, typiquement par un lourd train de marchandises qui redémarre, et ça peut être la rupture pure et simple de la caténaire. Le fil de contact, en cuivre, fond et c’est l’interruption de la circulation.

Beaucoup de givre : grosse inquiétude pour la caténaire.
Beaucoup de givre : grosse inquiétude pour la caténaire.

La solution ? Avant tout, le passage de trains pour que la caténaire soit raclée. Sur une ligne fréquentée, le passage normal peut suffire. Dans le cas de lignes interrompues la nuit, la circulation de trains raclant la caténaire est la solution. Il s’agit d’une ou plusieurs locomotives électriques tractées par une locomotive diesel et qui circulent pantographes levés. Il faut donc le matériel roulant disponible, du personnel pour la conduite et le paiement des péages à RFF.

En gare ou dans les dépôts, maintenir des locomotives électriques en fonctionnement produit, même sans qu’elles ne roulent, un léger échauffement de la caténaire qui limite la formation de givre. Dans ce cas, il faut prévoir du personnel pour surveiller les engins maintenus ainsi en service.

  • Les effets sur les rames et locomotives :

On vient de le voir, le givre sur la caténaire est une source possible de rupture de cette infrastructure. Malheureusement, il a également des conséquences sur les rames et les locomotives.

Caténaire

Bien entendu, aucune conséquence pour les trains diesel mais les rames ou locomotives électriques rencontrent vite des problèmes de captage de courant car le gel forme un pellicule isolante entre le pantographe et le fil d’alimentation de la caténaire. En temps normal, elles perdent donc un peu de puissance et peuvent subir quelques disjonctions. Cela rend la conduite un peu plus sportive pour les conducteurs mais c’est sans conséquence sur le trafic.

Dans le cas d’un épisode comme celui qui occupe l’actualité, le captage de courant est devenu tellement faible par endroit qu’il était tout simplement impossible de rouler. Les trains électriques se retrouvent plantés sur place et doivent attendre d’être sortis de là par du matériel diesel.

Par ailleurs, comme pour la caténaire, chaque étincelle échauffe les pantographes. Là aussi, un gros amorçage peut mener à leur rupture. Sans pantographe, plus de courant dans la locomotive. C’est la panne et l’attente d’un autre engin pour pouvoir regagner une gare.

La solution ? Là aussi, les trains racleurs.

Le froid génère un autre phénomène beaucoup moins connu : le gel des systèmes de freinage. Sur les trains, le freinage est en effet assuré par un système à air comprimé. Là encore, les lois de la physique nous jouent des tours. L’air comprimé est en effet, fort logiquement, plus saturé en humidité que l’air à son état normal. Les circuits de frein d’un train comportent donc toujours un peu d’eau. Il fait donc partie des tâches quotidiennes des conducteurs de purger régulièrement le circuit de frein de son eau.

Purge
Un conducteur purge le circuit de frein.

Evidemment, lorsque le train est remisé, la pression dans le système de frein chute. Cela augmente la condensation et donc la quantité d’eau dans le circuit. Je ne vous apprendrais pas que l’eau, exposée au froid donne de la glace. On risque donc la formation d’un bouchon de glace dans le système freinage et donc la panne.

La solution ? Maintenir les rames et locomotives sous tension et donc le système de frein en pression. Bien entendu cela ne sera pas suffisant sans personnel pour purger régulièrement le circuit de freinage.

Un dernier phénomène touche les trains en général et le TGV en particulier : l’accumulation de neige sur les rames. A l’arrêt ou en roulant dans la poudreuse soulevée par leur passage, les trains se couvrent petit à petit de neige. Cela pose un problème pour les rames équipées d’attelage automatique. Placé à l’avant du train, ce disposition permet d’atteler deux rames entre elles sans intervention d’un agent de manoeuvre. Si on ne fait rien, en roulant, il se chargera de neige et ne pourra plus fonctionner correctement. Vivent les trains trop courts si on ne peut plus atteler plusieurs rames !

La solution ? On capote les attelages automatiques à la moindre alerte neige. C’est le cas de cet AGC doté de sa jolie capote orange :
AGC capote
Mais la neige ne s’accumule pas que sur les attelages automatiques. Vous le voyez sur cet  AGC, elle s’installe partout où elle peut se fixer. Typiquement, elle va se déposer à l’avant du train mais aussi sur les bogies et entre les voitures. La physique nous rattrape encore et cette neige, sous l’effet du déplacement de l’air produit quand le train roule, se transforme en beaux paquets de glace. Plus le train roule vite, plus ce sera le cas. C’est ce qui rend les TGV particulièrement sensibles au phénomène.

Mais où est le problème ? Quand il y a trop de paquets de glace ou au croisement avec un autre train, tout se détache. Des blocs de glace sont alors projetés partout et peuvent être dangereux pour les personnes sur les quais mais aussi pour les autres trains. Les TGV reviennent fréquemment des journées neigeuses avec des vitres cassées par ces blocs de glace.

La solution ? Il n’y en a qu’une : réduire la vitesse des trains pour limiter la formation de glace ainsi que les conséquences lorsqu’elle se détache du train.

Ce jour là, ce TGV Paris – Bourg Saint Maurice sort de la ligne TGV avec 20 minutes de retard sur son horaire prévu mais la limitation de vitesse imposée a évité qu’il ne soit couvert de glace :
TGV Neige

  • Les solutions existent donc mais…

Vous le voyez, les solutions aux intempéries à la neige et au froid existent. Elles sont d’ailleurs déjà mises en application régulièrement.

Il n’en reste pas moins que leur efficacité reste limitée. En cas d’un épisode soudain et important, si le personnel et le matériel n’est pas mobilisé, le temps de tout mettre en place, il sera trop tard. Tuons tout de suite le mythe : la solution efficace à 100% n’existe nulle part sur la planète. Même au Canada ou en Russie, les trains se retrouvent régulièrement piégés par les intempéries.

Ne perdons pas non plus de vue la question économique. Les moyens actuels sont dimensionnés pour faire face jusqu’à un certain point qui a été dépassé ces derniers jours. Il est possible de mettre en place de quoi faire face à une météo plus rigoureuse à la condition d’avoir le personnel et les moyens techniques nécessaires. Reste à savoir si cela est pertinent.

Doit on dépenser sans compter alors que la neige ne tombe qu’une dizaine jours dans l’année en France ? Quand on habite à Toulouse on fait certainement plus facilement l’impasse sur l’achat de pneus neige que si l’on réside à Bourg Saint Maurice.

Si on devait choisir d’augmenter les moyens humains et matériel pour faire face aux intempéries, une autre question se pose : qui acceptera de payer cette dépense supplémentaire ?