France 5, quand le service public déraille.

Le 7 Octobre, dans le magazine « Le monde en face », France 5 diffusait un documentaire nommé « SNCF, quand le service public déraille ». Malgré un titre qui ressemblait à une conclusion anticipée du documentaire, sur le site de la chaîne publique, la présentation du reportage, relativement neutre, s’interrogeait sur l’impact de l’ouverture à venir du marché du transport ferroviaire de voyageur. Bref, ça pouvait être à voir. En plus, en général, France 5 est une chaîne où l’on pratique encore le journaliste à peu près neutre. J’avais oublié que c’était aussi la chaîne de « C dans l’air ». La suite m’a rafraîchit la mémoire.

Ayant supprimé ma télé depuis quelques années, j’allais donc faire un tour sur le site de la chaîne, dès le lendemain de la diffusion. Je vais faire comme la journaliste à l’origine du documentaire. Je ne vais donc pas m’embêter à attendre la fin de cet article pour vous livrer ce qu’il faut retenir: je n’ai jamais vu un reportage autant à charge, autant bourré d’inexactitudes et autant partisan. Même un 13h de TF1 de jour de grève est plus neutre. C’est vous dire !

Fallait il laisser couler ou répondre à tout ça ? Après tout, je ne suis pas la SNCF. Je pourrais donc en rire (jaune) et passer à autre chose. Oui mais, dans ces tirs tous azimuts, les cheminots en prenaient encore pour leur grade. On relançait encore la machine à fantasmer et ça, bordel de merde, y en a marre ! Voila donc un bel article fleuve sur le beau travail, non pas « des journalistes » mais de Mélanie Van Der Ende. Oui, moi, je ne fais pas de généralités.

Et, les généralités, ça commence dès le début. Même pas une minute de reportage et le ton est donné. Les voyageurs vivent « l’enfer » et les « retards quotidiens ». La journaliste suit donc une blogueuse qui distribue des cartons rouges. Pas de bol, malgré les retards « quotidiens » le train est à l’heure et, en guise « d’enfer », on est dans du matériel neuf où il y a de la place. Toujours pas de chance, quelques minutes plus loin, le train devant arriver à 8h11 arrive… à 8h11 mais la voix off s’empresse d’ajouter que « cette ligne a une réputation catastrophique ». Ben oui, à défaut de filmer l’enfer et les retards quotidiens, faut bien insister dessus lourdement…

Entre temps, la conclusion du documentaire est faite. 1min40 de reportage et elle est lâchée : »le problème c’est qu’il n’existe qu’une seule offre, celle de la SNCF ». Remballez tout. Le problème c’est le monopole ! Ça ne peut pas être le manque de volonté des politiques, le manque d’investissement de RFF, de l’état, des conseils régionaux, non, rien de tout ça. La suite du documentaire ne va aller que dans ce sens : le monopole SNCF est responsable de tout.

Histoire d’enfoncer le clou, on en remet de suite une couche : « aujourd’hui rien ne va plus » et tant pis si on a filmé le contraire à l’instant. Pourquoi si peu de nuance ? Entre « enfer », « cauchemar », « retard quotidien », « rien ne va plus » et la réalité, il y a tout de même un delta. Mais bon, pas grave, faisons de la généralisation sans aucune nuance. C’est tellement plus simple.

On enchaîne sur quelques minutes concernant les tarifs du train, forcément trop chers. Là, aucun comparatif avec un autre mode de transport. Dommage, c’est pourtant instructif. On notera que le seul cas évoqué sera celui du TGV en oubliant soigneusement les abonnements des salariés qui sont à un prix défiant toute concurrence et, en plus, pris en charge à 50% par les employeurs. On se gardera bien de préciser le rôle des péages de RFF dans les augmentations récentes du prix du billet. On se gardera également bien de préciser que, ces deux dernières années la TVA, est passée de 5,5% à 7% puis à 10%, oubliant donc que l’état est largement responsable de la grosse hausse des tarifs. On oubliera aussi que l’état demande à la SNCF d’être rentable et en retire des dividendes. Bref, la SNCF est seule responsable. Les cheminots s’amuseront au passage devant l’image d’un billet présenté comme venant d’être acheté mais portant la mention « ECH BLS ». Il s’agit donc là d’un billet qui a fait l’objet d’un échange sur une borne. Quel était donc son prix d’origine ? Était il trop peu cher qu’il a fallut l’ échanger histoire de coller à la thèse du reportage ? On ne le saura jamais.

ECH BLS soit, ECHange Borne Libre Service
Sous le prix, la mention ECH BLS signifiant ECHange Borne Libre Service

Histoire de prouver que les tarifs sont « incompréhensibles », voila la journaliste partie dans le train demander aux autres voyageurs combien ils ont payé leur Paris – Lyon en TGV. Elle va donc trouver une passagère qui l’a payé 6€ de moins qu’elle, une personne l’ayant payé 52€ grâce à une carte de réduction (dingue, avec une carte de réduction, on a droit à… une réduction. Vraiment n’importe quoi ces tarifs) et une conjointe de cheminot qui n’a payé que les 1,5€ de la réservation. Et voici venu le premier coup dans la tronche des cheminots. On aurait pu donner le chiffre sans plus s’attarder mais, non, on insiste bien en précisant que cette passagère est « carrément privilégiée ». On appréciera la retenue dans le choix des termes. Aller, on ne va pas s’énerver, il y aura de quoi le faire un peu plus tard.

On s’amusera aussi d’entendre la journaliste déplorer que les billets à tarif réduit ne soient disponibles qu’en semaine ou hors vacances scolaires. Vous en connaissez beaucoup des commerçants qui soldent ce qui se vend bien ? Vous croyez que la concurrence fera des promos sur les trains les plus demandés ? Allez donc voir ce qui se pratique dans l’aérien et vous aurez une bonne idée de ce qui risque d’arriver sur les rails… si la concurrence veut bien faire autre chose que du TER car, ça, c’est pas gagné. Je reviendrai sur ce point plus loin dans l’article.

Bref, revenons à cette histoire de tarification. A mon avis, au lieu de se plaindre que ce soit « incompréhensible », il aurait été plus intelligent d’expliquer vraiment clairement le yield management (c’est pas si compliqué que ça) puis de s’intéresser aux raisons de sa mise en place. On aurait alors pu s’interroger sur la logique de rentabilité demandée par les politiques à une entreprise publique. On aurait pu déplorer que des lois visant à ouvrir le marché à la concurrence font, petit à petit, sauter les contraintes tarifaires qui encadraient le prix des billets. On aurait pu préciser que le TGV ne relève pas du service public mais est une offre commerciale et s’étonner que les politiques aient voté des lois allant dans ce sens. Non, rien de cela. Là encore, un seul coupable: la SNCF et son monopole, la preuve : »70% des français sont favorables à l’ouverture à la concurrence dans l’espoir que les prix baissent ».

A partir de la douzième minute du reportage, on s’intéresse à l’état du réseau et à son impact sur la circulation des trains. Avec plaisir, j’entends enfin le début de prise en compte d’une réalité: on fait circuler de plus en plus de trains sur le même réseau. Enfin une explication à l’embouteillage qui se crée, aux heures de pointes, particulièrement en région parisien. Ouf, un peu de bon sens. Oui… mais non. On interviewe en effet Thierry Mignauw, qui évoque les besoins en investissement dans le réseau et, le nom de RFF est lâché. RFF, entreprise d’état, est propriétaire du réseau et gère sa maintenance et son développement. Pas de bol, pour parler réseau, la journaliste va vouloir rencontrer… la SNCF. Décidément, la SNCF comme seule responsable, c’est une fixette.

S’en suit une partie évoquant le manque de moyens pour la maintenance des lignes et pour le maintien du service public, notamment dans les petites gares. Je souscris globalement à ce qui est dit même si je déplore le discours très alarmiste des syndicalistes qui sont filmés. Il n’y a en effet aucune raison d’avoir peur de prendre le train. Si le manque de moyens a des effets sur le terrain, ça peut être en terme de qualité de service mais certainement pas en terme de sécurité. Par ailleurs, une fois de plus, le reportage se focalise sur la SNCF. Les vrais décideurs en matière de moyens sont absents du reportage ou dédouanés de leurs responsabilités. L’état qui décide de la politique de RFF et de la SNCF: absent. RFF qui décide de l’avenir du réseau: absent. Les conseils régionaux qui décident des dessertes et des achats de rames: on les fait passer pour des victimes de la SNCF.

Le reportage s’attarde en effet sur le cas de la région Midi-Pyrénées qui se plaint de problèmes liés au réseau mais coupe les paiements à la SNCF. Une fois encore, où est passé RFF ? Mystère. Au passage, une voyageuse exprime son soutien au conseil régional juste après s’être plainte du matériel. Doit on lui dire que c’est ce même conseil régional qui décide du renouvellement des rames ? Là encore, la journaliste ne relève pas et continue sur sa thèse : la SNCF est coupable de tout.

Vient ensuite le moment le plus WTF de tout ce documentaire. On nous y présente un conducteur parlant de son métier. Bizarre, ce conducteur porte une tenue et une sacoche de contrôleur. Qu’est ce que c’est que ce gars ? Nous présenterait on en fait un contrôleur qui parle du boulot des conducteurs ? Pire, utiliserait on des images d’un contrôleur pour illustrer une interview audio d’un conducteur ? Il y a un procédé qui n’est pas clair derrière ça. Bref, passons et venons en aux propos tenus.

Un conducteur qui se promène avec la tenue e le terminal d'un contrôleur...
Un conducteur qui se promène avec la tenue et le terminal d’un contrôleur…

Donc, ce contrôlducteur (oui, j’ai le droit d’inventer des mots ) raconte qu’il passe la moitié de son temps dans les trains comme simple voyageur. Aucune nuance dans la façon dont la journaliste présente cela. C’est donné comme une affirmation: un contrôlducteur passe 50% de son temps à buller sur un siège au lieu de conduire. De l’avis de conducteurs, des vrais, que je connais depuis des lustres ou avec qui je bosse, ça peut arriver. Certaines journées de certains roulements ressemblent à ça.

Oui, certaines journées… sur certains roulements… Ce n’est donc pas le quotidien et ça relève du cas rare. C’est d’ailleurs peut être ce qu’à dit le contrôlducteur du reportage mais on ne voit ni la question qui a été posée par la journaliste ni l’intégralité de la réponse. Si ça se trouve, le contrôlducteur a bien précisé que ça arrivait, que c’était rare mais que ça pouvait être une piste de réflexion pour plus d’efficacité (bref, une réponse pondérée) mais ça a été coupé au montage. Amateurisme ? Malhonnêteté ? Passons…

Rappelons par ailleurs que le temps de travail c’est « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. » Donc, même s’il n’est pas aux commandes, un conducteur qui est dans un train entre deux trains qu’il conduit, c’est bien sur les directives de son employeur et pas par une envie soudaine d’aller faire un tour. Il ne se promène pas. Il est bien dans le cadre de sa journée de boulot. Ce rappel du code du travail étant fait, revenons au splendide boulot de France 5.

La journaliste affirme également que: »la SNCF paierait le taxi à ses cheminots pour les emmener au boulot ». Evidemment, le contrôlducteur, confirme dans une réponse que l’on n’a pas en entier à une question que l’on n’a pas du tout. Là aussi, il a très bien pu dire la vérité et on n’a monté que le truc bien croustillant.

La vérité quelle est elle ? Elle est que la SNCF ne nous paye pas le taxi pour aller au boulot. De notre domicile à notre lieu d’affectation, nous prenons notre véhicule personnel ou les transports en commun et nous sommes pris en charge comme tous les salariés : rien pour les utilisateurs de véhicule personnel et 50% de remboursement des abonnements de transports en commun.

Mais alors, d’où sort cette histoire de taxis ? Elle vient du fait que, pendant leurs déplacements, les conducteurs et contrôleurs, peuvent se retrouver dans un taxi pour se rendre d’une gare à une autre. Un exemple concret: j’ai le souvenir d’un collègue conducteur qui avait une journée de service qui se terminait à Evian. Là, il passait la nuit au foyer SNCF et, le lendemain matin, assurait un train au départ de Genève. Ce train étant le premier de la journée, il était impossible de se rendre à Genève en transports en commun. Il était donc acheminé en taxi du foyer d’Evian à la gare de Genève. Bien entendu, il s’était rendu par ses propres moyens de son domicile à son dépôt d’affectation et, de retour de ses deux jours de déplacement, il a récupéré son véhicule pour rentrer chez lui.

Je ne nie pas qu’il peut y avoir matière à optimiser ces déplacements mais la présentation faite par la journaliste n’est même plus une approximation mais une affirmation totalement fausse. Une fois de plus, on annonce des contre-vérités qui entretiennent encore le bon vieux mythe du cheminot qui bosse pas beaucoup et a plein d’avantages. Là encore, amateurisme ou malhonnêteté ? Dur à dire… Toujours est il que c’est encore un coup pour la SNCF qui gaspillerait à tout va en payant ses cheminots à ne rien foutre ou en leur offrant des promenades en taxi, pour le fun.

Evidemment, hors du monopole de la SNCF, ça se passe forcément bien et la journaliste va nous le montrer. On enchaîne donc sur une visite sur une partie du réseau breton exploitée par Transdev. Transdev, c’est privé, donc bien, donc compétitif, donc intelligent. Chez Transdev, on est tellement malin que le conducteur, il ne fait pas que conduire. Non, il fait le ménage de son train, le plein de son train, l’accueil des voyageurs.  Là encore, pas de bol, on oublie de dire qu’un tel exemple n’est transposable qu’à des lignes avec de très faibles trafics et de simples autorails. Si le nombre de passagers dépasse les 10/15 par train et qu’on passe à des rames à plusieurs voitures, c’est intenable. On oublie aussi de dire que, les conducteurs, à la SNCF, ils ne font déjà pas que conduire. Le plein du train, ils le font aussi régulièrement.

Entrée en gare de Carhaix.
Entrée en gare de Carhaix.

Par ailleurs, ce n’est pas Transdev l’inventeur du système. Cette entreprise n’a fait que racheter les CFTA qui exploitaient la ligne de cette façon depuis des décennies comme sous-traitants de la SNCF. Bref, Transdev n’a rien inventé que la SNCF ne connaissait pas déjà. Et le beau publi-reportage sur Transdev se termine avec l’interview d’un dirigeant de l’entreprise qui regrette que le « savoir faire […] ne profite pas […] aux voyageurs français ». La belle image de l’entreprise privée qui se donnerait corps et âme pour satisfaire son client ! En fait, Transdev, comme tous ceux qui veulent venir faire du chemin de fer en France, ne rêve que du marché du TER avec ses voyageurs captifs et son argent public tombant des conseils régionaux. Le secteur réellement concurrentiel des trains open access, c’est trop risqué. Ils ne s’en cachent pas dans cet article.

Histoire de vendre encore la belle concurrence, la journaliste revient sur l’ouverture du fret ferroviaire qui « échappe » à la SNCF. Là encore, la réalité est plus nuancée. L’entreprise publique a certes perdu 30% du marché du fret oui mais ce chiffre ne bouge plus. Depuis maintenant  trois ou quatre ans, on voit des marchés perdus puis repris au gré des appels d’offre. Les chargeurs ont en effet été tester les concurrents et ont généralement constaté bien peu de différence. On peut aussi noter que, loin de développer le fret ferroviaire, l’ouverture à la concurrence l’a entraîné vers le bas, la SNCF préférant stopper les activités peu rentables pour s’aligner sur les concurrents, très friands de trains entiers, par définition très simples à opérer. Le grand vainqueur de l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, c’est le secteur routier. Là encore, silence radio de la part de la réalisatrice du documentaire.

Après un passage évoquant les offres lowcost de la SNCF, le documentaire se termine par l’évocation d’un pays ayant déjà ouvert le transport de voyageurs à la concurrence: la Suède. Après avoir pris tout de même le temps de préciser que l’ouverture n’a pas permis de baisse des prix, on embraye sur un tableau idyllique. Les lignes rouvrent, les voyageurs « ont le choix entre huit opérateurs privés » et le trafic de marchandises comme de passagers a augmenté. C’est le paradis qu’on vous dit.

Malheureusement, on oublie que les suédois ne semblent pas partager ce grand enthousiasme. En effet, une étude menée dans le pays montre que 70% des suédois seraient favorables au retour du monopole public (source ici). Passons rapidement sur le fait de comparer un pays de moins de 10 millions d’habitants avec une faible densité de population avec la France. On parle de deux mondes totalement différents. Si, concernant l’exemple français, la journaliste a évoqué l’état du réseau, pas un mot sur ce qu’il en est en Suède. On laisse donc entendre que ça marche parce que les opérateurs sont privés et en concurrence. Encore cet angle partisan et biaisé. On ne se concentre que sur les opérateurs en oubliant que l’efficacité du chemin de fer est celle d’un ensemble dépendant fortement du réseau mais aussi du cadre légal et de la volonté politique d’investir dans le rail.

Bref, pour conclure (parce que cet article est déjà bien long), il n’a jamais été précisé que les conseils régionaux étaient ceux qui définissaient le cahier des charges de l’offre TER. RFF n’a été cité que deux fois dans tout le reportage alors que l’on a passé de longues minutes à évoquer l’état du réseau comme étant une grosse cause des problèmes actuels. Le rôle de l’état a carrément été passé sous silence. A t’on précisé qu’à l’ouverture de la concurrence, le voyageur n’aura pas plus de choix qu’aujourd’hui puisque l’opérateur TER sera choisi par le conseil régional ? A t’on dit qu’il montera dans la même rame TER/RER (puisqu’elles appartiennent aux conseils régionaux) pour rouler sur le même réseau (puisqu’il appartient à l’état à travers RFF) ? Sur tout cela, motus. Non, le problème, c’est la SNCF et elle seule. Bref, on a droit à 50 minutes pendant lesquelles ont a l’impression d’entendre la propagande de ceux qui attendent de faire des sous avec le service public ferroviaire ou les divagations du café du commerce sur le service public forcément mauvais et les cheminots privilégiés et payés à rien foutre. Apparemment, à la télévision aussi, le service public déraille.